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  • Extinction

    Je me lave les mains. Tournant la tête, je vois la paroi du tunnel que le passage du train éclaire. La cabine est étroite, le lavabo à peine plus large que deux paumes jointes pour boire. Mais l'eau tiède devient froide. La lumière baisse. Le train s'arrête, tout s'éteint. Il n'y a pas de réseau de secours. En avant, cependant, la lueur des lampes de la station suivante.

  • Salubre

    Dans l'exposition Mantegna, au Louvre. Histoire de Drusienne  de Giovanni Bellini.

    Le panneau de la prédelle est divisé en trois par des piliers peints qui semblent inclus dans la composition centrale. Les trois vues se succèdent de droite à gauche, sans être contiguës. Dans la première scène, le cortège funéraire de Drusienne sort de la ville close. Dans la deuxième, au centre, Drusienne est rappelée à la vie par Saint Jean au milieu d'un cimetière, près de son tombeau ouvert. Dans la dernière, l'assistance accompagne la femme ressuscitée dans la direction d'une maison au fond, tout à gauche, qu'un personnage désigne de la main. 

    La perspective et la composition sont organisées selon une croix dont le centre est le miracle. La bière sur laquelle est étendue Drusienne est représentée successivement de profil, dans le sens de la longueur, puis en raccourci, de face : le cadavre et le corps en train de revenir à la vie sont perpendiculaires l'un à l'autre ; mais l'élan de la femme qui se relève infléchit le schéma et dans la dernière scène, l'assemblée qui s'éloigne continue son mouvement libre, de biais.

    De droite à gauche le paysage urbain se desserre : au petit pan étroit de ciel du premier tableau succèdent de larges trouées vers l'extérieur de la ville. Malgré l'étirement du panneau, le peintre parvient à exalter l'étendue dans le sens de la profondeur : à droite une douve, à gauche un podium, ouvrent un espace entre le spectateur et les premiers plans. Les pleins et les vides des monuments antiques, les arches et les socles, s'étagent solidement campés autour et derrière les personnages. Surtout les dégagements horizontaux laissent voir les merveilleux lointains, les montagnes bleues sous une bande de clarté. Entre elles et la ville haute règne une plaine nue ; un air froid et transparent y circule qui en retour emplit de sa limpidité les abords de la cité (dissipant la mauvaise odeur qui obligeait un témoin à se boucher le nez).

  • Rien n'est resté

    En lisant, en écrivant de Gracq. Quelles que soient la pertinence ou la résonance des jugements et des réflexions : des lectures de toute une vie, ne reste-t-il que cela ? "Le Dix-neuvième Siècle de Chateaubriand à Proust" mais réduit au panthéon Balzac, Stendhal, Flaubert, ou plutôt : à quelques-uns seulement de leurs romans. (La littérature allemande : Goethe ; la littérature russe : les noms uniquement de Dostoïevski et de Tolstoï). La poésie égrenée selon la table des matières d'un manuel. Le seul poème discuté un peu longuement est le fort médiocre Poison perdu.

  • Bach

    Eglise Saint-Roch. Cantates BWV 12 "Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen" – Cantate BWV 131 "Aus der Tiefe rufe ich, Herr, zu dir" – Cantate BWV 21 "Ich hatte viel Bekümmernis".

     (Le changement de sonorité provoqué par l'acoustique de l'église est spectaculaire : bien plus, pour le profane, comparé à ce qu'il entend en concert et au disque, que les variations liées aux décisions d'interprétation de tel ou tel. A une certaine distance dans la nef, la musique disparaît, avalée par les voûtes qui régurgitent une bouillie sonore. Il est un peu désolant que le public assis là-bas ne déserte pas en masse à l'entracte et ne réclame pas le remboursement de son billet. Pour les places "de première catégorie", l'écho ne l'emporte pas sur le son direct mais détermine ses métamorphoses. L'effet n'est pas identique selon les instruments : la trompette et l'orgue traversent l'épreuve sans grand dommage ; le hautbois (fort présent) semble avoir été relégué dans les profondeurs du choeur derrière l'orchestre ("De profundis clamavi"). Les voix ont au-dessus ou derrière elles la vague résonnante qu'elles engendrent : dans les grands choeurs croissants, où les voix entrent successivement, celle-ci les porte et leur prête son ampleur ; mais, en cas de changement de régime, à chaque rupture franche, elle manque de se briser et de les disperser. Le chef ménage un silence pour, en quelque sorte, laisser passer le remous. Cependant ce halo sonore, ce bourdonnement, ce manque de clarté, il est difficile à la longue de ne pas le vivre comme une perte d'acuité, une diminution de l'intelligence.)

     

  • Tristan et Isolde (4)

    A l'Opéra Bastille.

    (Tristan et Isolde sont dans un bateau ; mais on n'entend pas beaucoup la mer. Passée la sublime chanson du marin, tout l'équipage et ses manoeuvres ne sont que des accessoires de théâtre. La mer est l'envers invisible de l'espace fatal où les deux amants sont resserrés, occupés d'eux-mêmes. La nef est étroite mais Tristan et Isolde échangent solennellement des messagers. Cependant Isolde entend la réponse qui lui est faite par dessus l'épaule de Brangäne. Tristan va venir. Le lieu se réduit - chaque pas qui rapproche ébranle la poitrine.

    La mer est aussi la condition d'un autre mouvement insensible, concomitant et proportionnel. La mer diminue, la navigation finit au port : la bulle éclate alors contre le rivage, les lumières se rallument dans la salle et les deux amants hébétés constatent qu'ils sont toujours vivants et que le roi Marke est venu accueillir sa promise.)