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  • Carte de voeux

    J'ai dans la main une carte (d'un format intermédiaire entre la carte à jouer et la carte postale). Le recto est la photographie de nuages bleu sombre qui couvrent toute l'image. Au centre, disposées presque régulièrement en damier, sur les cases impaires, des lueurs roses : leur intensité est variable ; les plus brillantes rayonnent en étoile, les plus faibles ne sont qu'un point. En haut, dans le sens de la largeur, un mot est écrit en lettres blanches, rondes et grasses, majuscules : SOUV'AVENIR. Je suis si content du jeu de mots que je ne songe pas à retourner la carte.

  • Limites

    Pièces courtes : paraissent encore trop longues. Non qu'elles soient dépourvues de détails superbes. Mais cette beauté ponctuelle dépend de sa concision et ne peut être développée. Ces détails ne pourraient exister sans le matériau qui les soutient car ils tendent, par leur brièveté, à l'invisible. L'éclat ne se révèle que selon une monture de pacotille ; mais lui devant l'existence il la menace ; sa concentration dénonce le délayage, le rapiècement et l'ennui du tout. L'un et l'autre, passés à la limite, s'annihilent : le raccourcissement de l'un jusqu'au point où il ne peut être entendu ; le rallongement de l'autre jusqu'au bruit de fond, au silence.

  • Le barcaruol et l'arquebuse de roda

    Pour Venise, l'immigrant arrive des villes voisines (...) et des campagnes et montagnes proches (le Titien est de Cadore). Si les gens du Frioul - les Furlani - sont de bonnes recrues pour la domesticité et les gros travaux, voire, hors de la ville, les tâches agricoles, les mauvais garçons, il y en a, viennent tous, ou presque tous, des Romagnes et des Marches. Tutti li homeni di mala qualità, dit un rapport de mai 1587, o la maggior parte di loro che capita in questa città sono Romagnoli e Marchiani. Visiteurs indésirables et d'ordinaires clandestins, ils pénètrent de nuit dans la ville, par des filières régulières, s'adressent à quelque barcaruol qui ne peut refuser l'accès de sa barque à des hommes armés souvent de l'arquebuse à rouet, de roda, et qui, à l'amiable ou non, se font conduire jusqu'à la Giudecca, à Murano ou à telle autre île.

    (Braudel, La Méditerranée)

  • Mahler

    Das klagende Lied, salle Pleyel.

    (Des deux frères, le plus jeune s'endort sous un saule, la fleur au chapeau. L'alanguissement, le balancement ralenti de l'orchestre, fait penser aux Chants d'un compagnon errant, commençant où l'autre finit : War alles, ach alles, wieder gut ! / Alles ! Alles ! Lieb un Leid ! / Und Welt und Traum ! )

     

  • Haendel

    Le Messie, au Théâtre des Champs-Elysées.

    L’oratorio nous donne une représentation de l'histoire rapportée par les Evangiles mais il le fait presque sans énoncer aucun élément du récit et sans faire monter aucun des personnages sur la scène. Le texte est composé de commentaires et de méditations ; pourtant la succession du drame est respectée, chaque épisode est rendu sensible par la musique en même temps que sa signification (la variété est extraordinaire avec une telle unité de moyens) : il y a l’instant solennel de l’Annonciation, puis l’émerveillement naïf devant la Nativité, la violence de l’arrestation et de la Passion, la joie et la gloire de la Résurrection. Après l’Alleluia, qui figure le point culminant de l'histoire, il y a, comme dans l'Evangile, un temps faible, sans grand événement : la mort a été vaincue, la période qui s'ouvre en est la preuve, elle n'est que cela, sa chronologie est vague, elle dure jusqu'à ce que le choeur final vienne signifier l'éternité.

  • Fidelio

    A l'opéra Garnier.

    Difficile d'accepter que la "même musique" convienne à l'hymne finale et au médiocre quiproquo du début ; qu'elle exalte là l'héroïsme, le dévouement, la liberté, et plombe ici la comédie amoureuse. La représentation n'allait pas très bien et je ne retiens que la phrase sublime de Rocco : Der kaum mehr lebt / Und wie ein Schatten schwebt ?

  • Neiges d'été

    Qui ne connaît aussi ces neiges attardées jusqu'au coeur de l'été et qui "font frais aux yeux", dit un voyageur ? Elles zèbrent de leurs traits blancs le sommet du Mulhacen tandis qu'à ses pieds, Grenade meurt brûlée de chaleur ; elles s'accrochent au Taygète, au-dessus de la plaine tropicale de Sparte ; elles se conservent au creux des montagnes libanaises ou dans les "glacières" de Chréa... C'est elles qui expliquent, en Méditerranée, la longue histoire de "l'eau de neige" que Saladin offrait à Richard Coeur de Lion et dont le prince Don Carlos abusa jusqu'à en mourir, pendant le chaud mois de juillet 1568, dans sa prison du Palais de Madrid. (...)

    Ailleurs, en Egypte, où des relais de chevaux rapides l'apportaient de Syrie au Caire ; à Lisbonne où on la faisait venir de fort loin ; à Oran, le préside espagnol, où la neige arrive d'Espagne par les brigantins de l'Intendance ; à Malte où les Chevaliers, à les en croire, mourraient faute des arrivages de neige en provenance de Naples, leurs maladies exigeant "ce remède comme souverain", c'était, au contraire, denrée de luxe. Cependant, en Italie comme en Espagne, l'eau de neige semble assez répandue. Elle explique, en Italie, l'art précoce des glaces et des sorbets. A Rome, si fructueuse est sa vente qu'elle est l'objet d'un monopole. En Espagne, la neige est tassée dans des puits et conservée jusqu'en été. Des pélerins occidentaux, en route vers la Terre Sainte, ne s'en étonnent pas moins lorsqu'en 1494 ils voient, sur la côte syrienne, le patron de leur navire recevoir en cadeau "un sac rempli de neige dont la vue en ce pays et au mois de juillet remplit tout l'équipage du plus grand étonnement". Sur cette même côte de Syrie, un Vénitien, en 1553, s'émerveille que les "Mores", ut nos utimur saccharo, item spargunt nivem super cibos et sua edilia, "répandent de la neige sur leurs mets et leurs nourritures comme nous y mettons du sucre".

    (Braudel, La Méditerranée).