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  • Partage de midi

    (Sur les bons conseils de Philippe[s]) à la Comédie française. 

    - Mesa, je suis Ysé, c'est moi.

    La phrase d'Ysé et le long silence qui la précède rappellent le sommet d'un autre acte 1 : le premier (et très bref) duo d'amour entre Tristan et Isolde dans Wagner (suspens de la musique et les deux noms seulement échangés : - Tristan - Isolde). A l'agitation de la joute et des jeux succède le moment de la reconnaissance et de l'aveu. Le flot précipité des répliques, chargés de mots, de cris et d'images, laisse la place à la tautologie de l'évidence ; les quelques syllabes forment un bloc que cimentent le chiasme et l'allitération (Mesa / c'est moi ; je suis / Ysé) et les deux noms s'unissent.

  • Carmen

    Au Châtelet.

    C'est, pour ainsi dire, la première fois que j'entends Carmen. Jusqu'à l'air d'Escamillo, inclus, difficile d'échapper à l'impression d'assister à un pot-pourri des grands succès de l'opéra (comme ces histoires trop fameuses, dont la version d'origine, quand on y revient, semble un abrégé) : mais ce n'est pas chanté en syldave, on comprend ce que les personnages disent (en particulier les choeurs).

    Enfin, après Toréador, je commence à suivre l'intrigue : un mois a passé depuis la Habanera (j'aime ces grands espaces de temps qui séparent les actes). La gitane danse et chante pour le soldat, quand la retraite sonne : le soldat veut partir. Il est pourtant très sincèrement amoureux : - non tu ne m'aimes pas. (Pas d'accomodements, pas de demi-mesure, le drame est lancé).

     

  • Derniers regards

    Au cinéma, revu They live by night de Nicholas Ray.

    Tout le monde a ses raisons et, sans trop y penser, les uns utilisent les autres pour servir leurs intérêts : c'est ainsi que les jeunes et tendres amants finissent victimes des adultes endurcis qui les enrôlent dans leurs intrigues. Parmi ceux-là, il y a la femme d'un détenu, prête à tout pour obtenir la libération de son mari parce que la vie passe, le temps presse et que l'un et l'autre seront bientôt vieux.

    Dès qu'elle a croisé la route de Keechie et de Bowie, elle leur a témoigné de l'hostilité : peut-être par jalousie, peut-être par aversion pour un destin qui lui rappelle le sien à son début. Enfin l'occasion se présente : le couple en fuite s'est réfugié chez elle ; elle obtiendra l'élargissement de son homme en livrant à la police le jeune bandit. On la voit négocier durement avec l'officier ; à gauche du bureau, le mari entravé garde la tête baissée. Pendant qu'on le remmène (dans l'attente de la réalisation du forfait), la femme lui jette un regard implorant ; les grands yeux noirs, inquiets, guettent sans doute une approbation, en vain : a-t-elle tout perdu, croyant réussir ? (Peu de temps après, il lui faudra boire le calice jusqu'à la lie et convaincre Bowie, qui veut s'enfuir, d'aller voir une dernière fois sa jeune femme endormie pour que, sur le chemin de la chambre, la police puisse l'abattre : songe-t-elle alors à son propre sort, à cet autre regard qui restera peut-être lui-aussi le dernier ?)

  • L'allegro, il penseroso ed il moderato (2)

    A nouveau à l'opéra Garnier pour écouter "la plus belle musique de Haendel" et retrouver les plaisirs de la mélancolie :

    These Pleasures, Melancholy, give,
    And we with thee will choose to live.

    C'est elle qui s'avance, mesurée et  secrète, selon la merveilleuse pulsation haendélienne ; elle qui convie la frugalité au banquet des dieux (lit-on dans la traduction donnée en surtitre, image superbe d'un luxe idéal accompli non dans la profusion mais dans une forme de dépouillement.)

    (Quant à la danse qui fait le spectacle, je ne sais rien de ce que doit être la danse... d'autant que ce soir, une bonne partie de la scène m'est cachée, je ne vois qu'à peine les danseurs, figures d'un paysage absent, presque nus ou bizarrement affublés de jouets ou d'oripeaux, nymphes et faunes se livrant à des jeux d'eux seuls compris.)

  • L'Affaire Makropoulos (2)

    A l'Opéra Bastille.

    Que veut-elle, cette Emilia Marty ? Le temps de l'opéra elle fait tout pour retrouver les documents qui la maintiendront en vie (avec l'urgence que suggèrent ces leitmotive en forme de roulements de timbales ou de sirènes de course-poursuite ; il est vrai qu'elle s'y prend au dernier moment, au dernier jour de son immortalité)... mais, à la fin, quand  elle a récupéré la lettre et qu'elle tient la formule entre les mains, elle n'en veut plus, elle abandonne (un ressort de l'intrigue m'a peut-être échappé ?). L'oeuvre conjuge ainsi l'urgence avec l'éternité, l'ennui avec le paroxysme.

    Elina joue avec les hommes, se prête à leur désir puis s'éloigne, les considérant de très loin (Tous meurent, dit-elle avec cynisme). Pas davantage mère qu'amante fidèle (que lui est toute cette descendance qu'elle a enfantée et qui grouille aujourd'hui sur la terre ?). Mais au moment de finir, à un point où tout l'orchestre ploie, où sa voix s'éteint, elle pleure son amant mort il y a un siècle et puis son père.

  • Prix et salaires

    Au cinéma, Still life de Jia Zhang-ke.

    Quelques ordres de grandeur :
    - le personnage principal, loin de chez lui, arrive dans la ville de Fengjie en amont du barrage des Trois-gorges. Il a pour toute indication une vieille adresse ; une moto-taxi l'emmène et s'arrête au-dessus du lac de retenue, pour rien : la rue est depuis longtemps submergée (prix de la course : 3 yuans)
    - l'homme veut se loger : on l'emmène chez un vieillard avec qui il négocie une chambre (loyer : moins de 1,5 yuan par jour)
    - pour continuer ses recherches, il a besoin de gagner de quoi vivre. Il s'embauche comme ouvrier dans les chantiers de démolition. Sur les façades, des chiffres peints indiquent le futur niveau des eaux. En deçà les immeubles sont démolis à la masse (salaire journalier : 50 yuans). Chez lui, l'homme travaillait dans les mines : un travail bien plus dangereux mais mieux payé (200 yuans)
    - on comprend que l'homme est à la recherche de sa femme. Elle l'a quitté il y a seize ans retournant dans sa famille juste après la naissance de leur fille. A l'époque, l'homme avait "fait venir" une épouse pour 3000 yuans. Il finit par la retrouver au service d'un chef de clan ; qui propose de la lui rendre en échange du réglement d'une dette de 30 000 yuans.

    (Et, avec ces détails, une contrée extraordinaire : le site du barrage, lieu du passé englouti et des métamorphoses ; où se rejoignent mythes de la Chine d'hier (les grands projets maoïstes) et la frénésie économique contemporaine).

  • L'Affaire Makropoulos

    A l'Opéra Bastille.

    C'est le finale qui emporte le morceau : car, pendant les deux premiers actes, on est souvent perdu ; l'intrigue est bien embrouillée : qui est cette femme qui vient régler des affaires de famille vieille de deux siècles et passe d'homme en homme ? la mise en scène néglige de caractériser les personnages (à l'exception du rôle principal, Elina Makropoulos alias Emilia Marty alias Eileen MacGregor, etc. associé notamment, à l'image, à Marilyn Monroe ou à Bette Davis dans All about eve, ou Gloria Swanson dans Sunset Boulevard ) ; la partition semble alterner des extraits de la Sinfonietta ou du quatuor Lettres intimes sans qu'on repère (à la première écoute) le sens. Enfin la cantatrice prend la parole, révèle son secret, donne son âge (un peu plus de trois cents ans) et crie sa lassitude et son dégoût de cette immortalité magique : la force et la plénitude de la musique alors contredisent, ou plutôt complètent, son monologue ; la vie, disent-elles, ne vaut que parce qu'elle va s'interrompre. Elina choisit de mourir.