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  • annihile

    (Dans l'anthologie de la poésie française du siècle dernier rassemblée par Philippe Jaccottet, Une constellation, tout près, ce poème de Jean Tortel :)

    Le verger translucide
    Annihile l'azur

    Les cerisiers en fleur c'est la chose sans ombre
    Tout est passage
    L'azur pénètre au coeur du beau verger
    Devient blancheur.

    (Le rare annihile que j'ai l'impression de lire pour la première fois dans un poème me fait penser à cet autre verbe, inédit, qui vient à la fin du Miroir d'Yves Bonnefoy, in Début et fin de la neige :)

    Hier encore
    Les nuages passaient
    Au fond noir de la chambre.
    Mais à présent le miroir est vide.

    Neiger
    Se désenchevêtre du ciel.

  • Nono et alii

    A la Cité de la Musique.

    Un concert sur deux niveaux dans la salle des concerts de la Cité de la Musique : l'Orchestre de Lyon est sur la scène et joue des oeuvres de Luigi Nono ; l'ensemble la Fenice est placé dans les tribunes au-dessus (Cornets, trombones) ou bien aux deux extrémités des balcons latéraux (Orgues positifs) : et joue à la suite des courtes pièces de compositeurs italiens du XVIIème siècle.

    Tout cela compose un théâtre improbable mais non discordant : le contexte, les sonorités diffèrent complètement (en haut un petit nombre homogène, le souffle voilé et imprécis des cuivres naturels ; en bas l'addition de dizaines de lignes écrites, une grande masse fouillée, du silence aux forte) ; cependant (au moins dans la première partie) quelque chose unit ces deux musiques : quoi ? un chant, une paradoxale séduction sonore ? L'Italie...

  • My dearest James / My Charley !

    Un dernier détail, infime, de David Copperfield.

    Au chapitre 20, Steeforth amène pour la première fois son ami David dans la maison familiale.

    An ederly lady, though not very far advanced in years, with a proud carriage and a handsome face, was in the doorway as we alighted; and greeting Steerforth as 'My dearest James,' folded him in her arms.

    Quelle est cette belle dame, d'un certain âge, qui embrasse Steerforth en l'appelant par son prénom ? Sa mère, bien évidemment. Pourquoi, en racontant, ne pas lui donner d'emblée cette qualité et feindre, pour quelques phrases, de ne pas l'avoir devinée ?

    La raison en est peut-être à chercher dans un autre épisode du roman, bien des années et bien des pages (au chapitre 7) auparavant. David est envoyé en pension. Il voyage seul. Un des maîtres, Mr Mell, est venu le chercher à l'arrivée de la voiture et l'emmène jusqu'à l'école. Mais la route est longue, le petit garçon a faim et demande à manger. Mr Mell le conduit dans une maison où il fera cuire un œuf et du lard. David comprend qu'il s'agit d'un hospice, où sont recueillies les vieilles personnes sans ressources :

    (...) we went into the little house of one of these poor old women, who was blowing a fire to make a little saucepan boil. On seeing the master enter, the old woman stopped with the bellows on her knee, and said something that I thought sounded like 'My Charley!' but on seeing me come in too, she got up, and rubbing her hands made a confused sort of half curtsey.

    Pour ne pas compromettre son fils, qui l'a confiée à la charité publique, la vieille femme se tait et dissimule son identité. Mais David n'est pas dupe, il a surpris le secret ; quelques semaines plus tard, il le révèle à son grand ami Steerforth ; et Steerforth l'utilise pour obtenir le renvoi de Mr Mell. C'est peut-être le remords de cette faute ancienne qui, dans le récit de David, trouble les embrassades de Steerforth et de sa mère (ou, du moins, ma lecture).

  • L'exil à Batalha

    Dans la procession, des enfants bien en chair portent sur les épaules une plate-forme de bois surmontée d'une haute tour, un vrai donjon de château-fort, découpée dans une plaque de métal ou de carton ou de plastique, qui tangue et ondoie comme une flamme, pendant qu'un autre costaud la maintient d'aplomb par derrière, avec une longue perche. Un vieil homme sort de chez lui. Il fait face à la plaine. Mais, à tout moment, des morceaux du paysage se transforment. La mer remplace les champs. Les flots embués, agités, gris, se brisent sur le rivage. Trois palmiers alignés, avec une tige immense et une tête minuscule, demeurent au milieu de l'eau, oscillant, avant de disparaître à leur tour.

    L'homme marche dans une rue encombrée ; il roule dans une petite voiture en verre ; on l'arrête.

    Le procès est sur une scène vide, sans théâtre autour. L'instant d'après, un jeune acteur est substitué au vétéran en lourd manteau de laine pourpre. D'un plan à l'autre, les personnages modifient leur costume, les interprètes changent. La voix du metteur en scène invisible appelle Miss Mowcher, un témoin. La voix ordonne que la naine soit nue. Un petit film d'animation nous la montre, sous la forme d'une pièce de cire blanche, entrer en rampant, alternativement M ou W, parmi les cubes de couleur qui figurent les autres protagonistes. Enfin le verdict tombe, le coupable est condamné à deux années de relégation. Le vieillard, face à nous, tout près, accueille dignement la sentence et, choisissant le lieu de son exil, il prononce le dernier mot de l'ouvrage, faisant résonner le nom comme s'il donnait le titre du drame (qui viendrait à la fin) : Batalha.

  • Mahler

    Au Théâtre des Champs-Elysées.

    (Il y a la bande-annonce vers la fin du troisième mouvement. Puis le chef fait baisser les lumières, pousse les graves, ouvre les vannes et lance le film-finale... avec musique d'accompagnement.)

  • Cinq révélations (en musique)

    Incapable de rivaliser avec l'un ou l'autre, je suis néanmoins en mesure de dévoiler ici cinq exploits personnels effectivement peu connus (voire, à juste titre, complètement ignorés) :

    - Sans l'avoir réentendue depuis, je peux encore citer les paroles (je ne tiens pas à en fredonner une seconde fois l'air), de je ne sais quelle chanson italienne que notre professeur de musique, en sixième, nous faisait chanter, l'un après l'autre :

    Avvezzo a vivere
    Senza conforto
    In mezzo al porto
    Pavento il mar
    (bis)

    - Je confesse qu'adolescent, j'écoutais en cachette l'album de The Cure, Pornography (ne me demandez pas pourquoi). Je dérobais la cassette dans la chambre de mon frère ; je la jouais au casque avant de la remettre très exactement à sa place ; je prenais toujours soin de rembobiner la bande au point intermédiaire où je l'avais trouvée (précaution inutile, puisque j'étais manifestement le seul à m'y intéresser).

    - Je crois bien qu'à l'internat, deux années durant, j'ai écouté presque tous les soirs avant de m'endormir, chaque fois que c'était possible, le dernier mouvement du Chant de la Terre.

    - J'ai eu une fois un accident de voiture, tout seul, en ratant un virage. Au moment du choc (qui l'arrêta), l'autoradio jouait l'opéra de Frank Martin, le Vin herbé. J'avais lu l'année précédente deux ou trois lignes à propos d'une production de cette oeuvre dont je ne savais rien ; quelques jours après, j'étais tombé par hasard sur une diffusion du spectacle à la radio et j'avais eu l'inspiration inhabituelle de l'enregistrer. J'ai gardé quelque temps l'enregistrement incomplet. Je l'ai récupéré dans l'épave de la  voiture et puis je l'ai oublié l'année suivante dans une chambre d'hôtel, à Melbourne. J'ai trouvé depuis une autre version de l'opéra, au disque, que j'écoute encore régulièrement.

    - Je ne me suis jamais vanté d'avoir pleuré à chaudes larmes pendant quasiment tout le temps qu'a joué l'orchestre dirigé par Bernard Haitink dans la Huitième Symphonie de Chostakovitch, un soir (la seconde fois), au Théâtre des Champs-Elysées.

  • Profil

    Au musée des Arts décoratifs.

    Outre tapis, meubles, boiseries, vaisselle, bibelots, plafonds peints, statuettes, ustensiles, etc., il y a au musée des Arts décoratifs quelques tableaux : isolés par un mur de la profusion du Louvre à côté, on peut voir parmi eux ce panneau d'une prédelle, de Bernardo Daddi. (Une scène de la vie de Saint Pierre Martyr : l'inquisiteur fait face à un cheval cabré (l'Hérésie ?) qui piétine l'assemblée en bas de la chaire ; un homme empoigne dans le dos le manteau de son voisin ; par-dessus l'effroi de la foule à demi renversée, la bête dressée et le dominicain se répondent , couverts d'une semblable robe noire ; le geste faible et rond du saint arrête à distance, brutalement, le profil du cheval emporté).