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  • Notorious

    Au cinema, revu Notorious de Hitchcock.

    Extraordinaire scène finale : un escalier lentement descendu ; le mari accompagne sa femme et l'amant de celle-ci, enlacés, et les aide, malgré lui, à fuir. La belle-mère suit, une marche en arrière, chuchotant, suppliant son fils de montrer davantage de zèle. En bas de l'escalier, maintenant l'équilibre par la terreur qu'ils inspirent, les regards soupçonneux des tueurs.

    (Un détail : la bouteille oubliée par Devlin chez son patron n'est-elle pas de même marque que le champagne bu avidement par les hôtes de Sebastian ? L'histoire interrompue (comme la bouteille non ouverte) entre Devlin et Alicia reprend quand tout le champagne de Sebastian est épuisé.)

  • La cafetière des morts

    Le Promontoire, de Henri Thomas. Un village en Corse où officient un prêtre latin et un prêtre grec. Le narrateur y passe l'été dans l'unique hôtel, avec sa femme et leur petite fille. Il est occupé à des travaux d'écriture. Un écrivain (une connaissance du narrateur) s'arrête quelques jours dans le village : il leur fait remarquer les yeux inquiets de la patronne de l'hôtel. Quelques jours après la maladie se déclare ; la patronne est emmmenée à Ajaccio pour une opération. La saison passe. La femme et l'enfant retournent sur le Continent. Le narrateur quitte l'hôtel et s'installe dans une maisonnette presque abandonnée (il ne s'en ira plus). Il se mêle à la vie des habitants les plus humbles du village : le cantonnier, un pêcheur, un berger. L'hiver est très rude. La patronne de l'hôtel meurt. En se rendant à la veillée mortuaire, le narrateur voit la cafetière qu'on apporte pour la veillée :

    (...) la porte du café s'est ouverte et quelqu'un est sorti portant un objet blanc dans ses bras sur sa poitrine. Je l'ai rattrapé, c'était le fils du boulanger, et il portait une très grande cafetière qui a commencé à fumer dans le froid ; elle était enveloppée de serviettes, pour que le café ne refroidisse pas, ou pour que le gosse ne se brûle pas les doigts. (...) La cafetière appartient à Séraphine mais elle ne s'en sert jamais pour les clients de son café.
    - Bon Dieu, dit le gosse, elle est trop pleine, oh là là !
    J'ai dit :
    - Donne-moi ça.
    En effet, elle était pleine à ras, et de café bouillant, car je n'ai pas tardé à sentir la chaleur sur ma poitrine à travers mes vêtements. (...) J'étais bien certain que si je ne reconnaissais pas les gens qui marchaient, qui me dépassaient, eux m'avaient tout de suite reconnu. Je serais attendu, là où j'allais ! Je ne pensais guère à la mort, moi qui portais la cafetière des morts.

  • (re)lectures

    La dose d'attention que les lecteurs accordent à une phrase imprimée a bien diminué depuis que les auteurs ne relisent plus les phrases qu'ils envoient à l'impression.

    (Stendhal, Mémoires d'un touriste).

  • Rameau

    A la salle Pleyel, une version de concert de Castor et Pollux de Rameau.

    Une prochaine fois, ne pas se fier au programme, apporter le livret ; le sur-tritrage est en panne. A certains endroits, le talent des chanteurs et la rime et la pauvreté de la langue classique suffisent ; je ne perds pas un mot des touchantes retrouvailles de Castor et Pollux aux enfers :

              O moment de tendresse !
              O moments les plus doux !
              O mon frère est-ce vous ?

    A d'autres, ma compréhension est rudimentaire. Les protagonistes sont souvent relégués sur les bords du spectacle (l'orchestre est au centre du plateau) ; les grands épisodes de musique de danse ou de cérémonie s'imposent et, sans le secours de la mise en scène, sont quelquefois difficiles à fondre dans l'action. Ce n'est pas le cas au troisième acte quand Pollux se tient devant l'Olympe entrouvert qui tente de le séduire et le dissuade de prendre la place de son frère mort. Le récitatif noble de Pollux qui renonce à l'immortalité fait face aux enchantements des Plaisirs ; mais leur séduction paraît lointaine, épurée, comme si la musique traduisait le sentiment du héros qui, en les entendant, sait déjà qu'il ne succombera pas à la tentation. (Dans le même esprit, la joie ternie, le très bel accompagnement voilé des cordes, dans l'air de Castor, rétif à l'apaisement que promet l'éternelle paix des Champs-Elysées.)

  • Couperin, Rameau, Campra

    Concert à la Cité de la Musique.

    La disposition de la salle des concerts de la Cité de la Musique est (pour moi) inédite. La scène est installée dans le petit axe de l'ellipse. A sa place on a monté (avec quelles machines ?) un nouveau balcon qui ferme le niveau supérieur (l'étage fait maintenant le tour du plateau comme dans une arène).

    Au centre, le motet de Couperin est également, à sa façon, une surprise, commençant par deux voix aiguës sans accompagnement. Les instruments se joignent à elles, ajoutent leurs pépiements, tracent et peuplent aussi, haut perchés, l'espèce de volière.

    Après l'entracte, le requiem de Campra est une œuvre sobre, confiante, jouée sans terreur et sans emphase. Il y a une belle simplicité dans la manière dont les solistes, quand ils ont fini, rentrent dans le chœur et, après quelques instants, se remettent à chanter à cette place et dans ce rôle.

    Mais c'est le motet de Rameau In convertendo (donné en fin de première partie) qui m'a fait la plus forte impression. L'orchestre est très expressif ; les vents se distinguent et apportent des couleurs qui semblent valoir aussi pour elles-mêmes. Il y a une grande variété dans la façon dont les voix des solistes sont regroupées et opposées. Le chœur final surtout est bouleversant dans son parcours, douleur et joie, assemblant ou divisant ses forces (il faudrait réécouter !).

  • L'escalier dérobé

    Nous avons passé en nous promenant devant un petit hôtel situé sur les bords du Rhône, près de la barrière par laquelle on sort pour aller à Genève.
    - Ah ! c'est la maison de la pauvre Mme Girer de Loche, a dit un de ces messieurs.

    Mme de Loche est une jeune et belle lyonnaise qui, après quelques années d'un veuvage sans reproche, alla séjourner un automne au château d'Uriage près de Grenoble. A son retour, elle quitta l'hôtel particulier qu'elle habitait alors et vint s'installer dans cette maison dont elle occupa le premier étage. Un jeune homme de Grenoble, appelé par ses affaires à Lyon, loua le second. Très dévots l'un et l'autre, les deux voisins ne se fréquentaient guère ; le jeune homme rendait visite une fois l'an à sa voisine. Il (avait pris) le goût de la pêche et pêchait dans le Rhône sous les fenêtres de la maison qu'il habitait.
    On se mit toutefois à parler de cette maison jusque là sans histoire lorsque, après cinq ou six ans, on apprit que Mme de Loche envoyait des lettres à son voisin. Sa santé s'était détériorée ; le jeune homme, de son côté, avait changé ses habitudes rangées et rentrait de plus en plus tard. Il finit par quitter la ville et retourner à Grenoble où il fit un riche mariage.
    La maladie de Mme de Loche s'aggravait. Elle se fit conseiller l'air du Midi ; et s'embarqua sur le bateau à vapeur. Elle s'installa à La Ciotat ; mais un matin on la retrouva morte dans sa chambre, asphyxiée. Elle avait brûlé son passeport et démarqué son linge.

    Les efforts de Mme de Loche pour garder son secret furent vains. On se souvint que, peu avant son départ, elle avait fait appel à des ouvriers, étrangers à la ville. Ils furent interrogés et révélèrent que leur tâche avait été de détruire un escalier qui mettait secrètement en communication l'appartement de Mme de Loche avec l'étage du dessus. On comprit alors quels travaux avait fait réaliser le jeune homme de Grenoble après son installation, cinq ans auparavant. Pendant des années, les deux voisins avaient vécu clandestinement comme mari et femme, dans leurs intérieurs réunis.

    (En lisant ce petit roman des Mémoires d'un touriste, je rêve que cet escalier, si opportunément construit et supprimé, n'a jamais existé, qu'il n'est que le signe de l'imagination du touriste, en promenade sur les quais du Rhône.)

  • chercher à deviner

    Pendant les douze années que je fus marchand, je n'ai voyagé que par la malle-poste. Trois jours de Paris à Marseille ! c'est beau ; mais aussi l'homme est réduit à l'état animal : on mange du pâté ou l'on dort la moitié de la journée. Je n'eus jamais le temps de m'enquérir, ou pour mieux dire, de chercher à deviner comment les gens chez lesquels je passais avaient coutume de s'y prendre pour courir après le bonheur. C'est pourtant la principale affaire de la vie. C'est du moins le premier objet de ma curiosité.
    (Stendhal, Mémoires d'un touriste).