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  • Prémonition

    Dans le rêve, je suis en voyage à l'étranger. Hors de la ville, on nous montre un vase colossal (semblable par la forme et la taille au vase d'Amathonte). Il est fait d'une matière dorée, pailletée, laide. En quelques endroits, les bords sont ornés de bas-reliefs ; je ne sais pas ce qu'ils représentent. L'intérieur du vase est resté presque entièrement rempli du matériau extérieur ; il n'est pas évidé de façon uniforme ; il contient une cavité principale et d'autres plus petites ; la surface semble une ébullition figée à l'état solide, faite de bulles crevées, etc. Dans le rêve, je dois décrire la remarquable chose à des correspondants qui ne peuvent la voir (qui habitent sans doute le séjour où je suis maintenant revenu, où se répète l'exercice requis par l'ustensile inexistant et tenace).

  • La Grande Terrasse

    ...
    Cae o cayó. La lluvia es una cosa
    Que sin duda sucede en el pasado.

    La pluie est chose qui assurément a lieu dans le passé, dit Borges. La promenade sur la Grande Terrasse de Saint-Germain se déroule, elle, pour une bonne part, dans le futur. A chaque instant, nous avons sous les yeux la place où nous passerons. Nous voyons l'étape prochaine et la suivante, identiques, échelonnées jusqu'au lointain bosquet final.  L'esplanade est bâtie sur le bord du plateau comme un quai, d'une seule volée, rectiligne, allant du parc jusqu'au bastion couronné. D'un côté, la forêt et le mur qu'elle déborde suivent lentement les ondulations du terrain naturel ; de l'autre, s'ouvre l'espace que parcourt, bien en contrebas, le fleuve à l'écoulement invisible. Car, peu à peu, le futur anticipé se réduit et trouve son terme ; la terrasse s'élargit et finit au-dessus d'un ravin ; le chemin fait demi-tour en longeant par l'extérieur des arbres rangés en rond. Les branches taillées et jointes tracent un cercle vide.

  • La mort du capitaine Cook

    Comme on sait, le Capitaine Cook mourut, durant l'été 1779, au cours de son troisième voyage d'exploration, tué par des habitants de l'île d'Hawaii.

    L'édition des Relations de voyages autour du monde contient le récit de sa mort. Le narrateur des dernières pages n'est plus Cook lui-même (cela ne lui a pas été possible) mais un de ses officiers... La succession des deux discours crée un effet extraordinaire dont je ne sais s'il existe l'équivalent dans le monde de la fiction. La voix forte du Capitaine, pleine d'autorité, d'intelligence et de rectitude morale cède la place à un récit fragmentaire, incertain voire mensonger (une note en bas de page suggère que le témoin était peut-être un lâche qui n'a pas tout fait pour sauver son supérieur ; plusieurs versions contraires de l'événement viennent s'ajouter, selon les indications d'autres membres de l'équipage).

    Quand succombe l'admirable Cook (à côté de qui Bougainville fait figure d'aimable dilettante), la confusion s'empare du monde. Comme disparaît l'auteur qui décrivait et mettait en ordre la réalité, les faits se morcèlent et se contredisent.