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  • Werther

    Werther, de Massenet à l'opéra Bastille.

    Il y a au moins un très beau moment. C'est à la fin de l'acte 3 et dans le prélude enchaîné de l'acte 4 : un messager arrive, il porte un billet de Werther qui annonce son départ et demande à Albert de lui prêter ses pistolets. Albert à sa femme (tel Golaud demandant à Mélisande de lui apporter son épée au lieu de la prendre lui-même, à trois pas) : donne-les lui. Qui, moi ! Charlotte obéit. Dans l'instant qui suit, sans que rien ne sépare le geste du cri : Mon Dieu ! Faites que j'arrive avant qu'il soit trop tard ! Dans la brève disjonction s'engouffrent la nuit, le vent, la distance qui éloigne la maison de Charlotte de la chambre de Werther, tout le prélude de l'acte suivant où l'on voit Charlotte courir dans un temps horriblement dilaté.

  • Déesse H

    Il y a toujours une certaine surprise à lire les textes un peu anciens qui s'intéressent à la personne de Rimbaud ou à celle de Lautréamont (dernièrement un texte de Gracq à propos de celui-ci dans Préférences) ; ils font se pencher sur le berceau de leur favori des figures solennelles, une petite troupe de fées, bonnes ou mauvaises : la Famille, le Catholicisme, la Province, la Révolution, l'Institution scolaire... mais ils oublient de convier, comme dans le conte, l'une d'entre elles, non la moindre.

  • Strasbourg

    Le premier trait de la Cathédrale de Strasbourg, c'est sa matière : le grès rose, solide et jeune, dont l'apparence, sous la ressemblance des formes, contredit le calcaire des grandes cathédrales françaises plus ou moins poreux et toujours, malgré les reconstructions, érodé et sali.

    Quand on débouche sur le parvis, l'édifice dresse sa masse formidable devant la ville. Les maisons qu'il domine lui sont justement proportionnées (et, à plus grande échelle, la cité paraît avoir eu le souci des rapports et banni les constructions en hauteur qui nuiraient). Mais, derrière cette façade, quand on la contourne, la nef semble bien petite. La mesure initiale a été faussée par les extensions successives du massif occidental (le beffroi et puis la flèche). Le bloc semble bien plutôt dialoguer, quand on y monte, avec les hauteurs de la Forêt Noire ou des Vosges qu'avec le vaisseau dont il marque l'entrée.

    Le massif occidental se disjoint du reste de l'édifice, il dresse un mur (le carreau de la façade) et un élancement (la flèche). Ses ornements eux-mêmes sont, pour partie, étrangement rejetés hors de la masse. Les colonnes et arcatures qui décorent la façade forment devant elle une grille (raccrochée au mur plein et nu par des jonctions peu visibles). Quatre escaliers extérieurs flanquent le corps de la flèche, détachés d'elle. L'une limite et les autres s'élèvent, réitérant le double mouvement.  

  • Mascarade

    Folies de femmes, de Stroheim.

    Karamzin, assis, baisse la tête ; il porte les deux mains à son front et cache ses yeux derrière. Subrepticement il a mouillé le bout de ses doigts et il les secoue maintenant pour faire tomber des gouttes sur la nappe devant lui. Trompée par le spectacle, la bonne s'apitoie et, devant ces fausses larmes, ravale ses reproches (Pourtant Karamzin ne modère pas ses effets et il agite les mains comme on chasse les mouches).

    Karamzin et ses deux comparses se font passer pour des aristocrates russes. Ils vivent sur un grand pied à Monaco trafiquant de fausse monnaie et tentent d'escroquer la femme du consul des États-Unis. Les scènes de rue évoquent un vaste carnaval et la fraude des trois voyous déborde d'allégresse (on songe à Don Giovanni, d'autant plus que Karamzin croise sur son chemin quelques statues du Commandeur : raides et sombres à proportion qu'il est vif et hilare).

    L'affaire tourne mal pour les escrocs : les deux femmes sont démasquées (la police fait tomber leur perruque) mais elles éclatent de rire.  Karamzin ne s'en tire pas si bien. Il est tué par un père dont il voulait séduire la fille : mais, avant que son cadavre ne soit précipité ignominieusement à l'égout, un dernier plan nous laisse voir son visage sous le sac, avec les lèvres largement retroussées et les dents éclatantes du rictus.

     

  • Combat de cerfs

    Le rut du printemps, de Courbet à Orsay.

    Une clairière non frayée, un ruisseau qui divague, trois cerfs occupés d'eux-mêmes. Y a-t-il dans tout le musée une oeuvre qui donne à ce point l'impression d'un monde dont l'homme est absent ? (Le spectacle aussi est étrange : la bizarre morphologie des bêtes, avec leurs "jambes de fuseaux" et leurs grands bois, les fait ressembler à d'énormes insectes, couleur d'humus ; les robes précises, les poses furieuses et rigides semblent appartenir à des animaux naturalisés : le deuxième cerf, langue pendante, est debout et mort ; le troisième brame et sa tête disparait dans son cri.)

  • Accommodations (2)

    Retable de Piero della Francesca à la Pinacothèque de la Brera.

    L'éclat de l'armure de Federico da Montefeltro ne contraste pas avec la clarté générale : ce qui se concentre là, sur le métal, selon les parois de la cuirasse, se déploie au-delà dans l'espace : conjoint au brillant du fer, à la douceur des visages de la Vierge et des archanges, aux perles de leurs coiffures ; dans la profondeur close, le grain de la lumière imprègne l'ombre légère et fait naître de la voûte pleine l'oeuf immaculé, pendu à la chaîne d'or.

  • Accommodations

    Une Madonne de Bellini, à la Pinacothèque de la Brera.

    Il s'agit d'une oeuvre de vieillesse, les traits sont gras, les contours n'ont rien de la sécheresse qu'on trouve dans les toiles plus anciennes, accrochées dans la même salle, et qui rappellent Mantegna. Les visages luisent comme mouillés par l'invisible suée de la couleur.

    Le nom du peintre est inscrit dans le paysage sur une stèle antique, un socle où un singe est perché (car l'artiste est le singe de la nature ?) ; à peu près symétriquement, un vide pour un plein, de l'autre côté de la grande figure de la Vierge à l'Enfant, il y a un passage ouvert dans un talus et qu'une planche franchit. Appuyé contre lui, un berger dort, le chapeau renfoncé, près de son maigre troupeau. Mais alors que l'oeil cherche ces détails et puis d'autres plus loin, dans la campagne peinte, au-delà, à l'horizon montagneux, l'aube point : une lumière profonde et jaune marque le bas du ciel ; elle monte et son éclat maintenant explique l'étrange luminosité de l'air et des corps.