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Mes bouquins refermés - Page 143

  • Le Rayon vert

    Au cinéma, I know where I'm going, de Michael Powell.

    En quelques séquences rétrospectives, de la petite enfance à l'adolescence, le générique illustre la devise de notre héroïne : je sais où je vais. Dans la première scène, on la voit annoncer à son père son mariage avec les industries pétrochimiques britanniques (ou plus exactement avec leur propriétaire). Dans un restaurant, au milieu d'une foule bruyante, la jeune femme maîtrise tous les codes (commander un verre, renvoyer un plat) ; règle en quelques phrases les problèmes d'argent et la situation familiale, avec son interlocuteur abasourdi.

    Ensuite commence le voyage en train, selon un itinéraire dactylographié et établi à la minute près, jusqu'à cette île au fin fond de l'Ecosse où le mariage doit avoir lieu. Joan s'endort dans un compartiment plein des reflets d'elle-même, et bientôt de ses rêves.

    Mais presqu'à destination, un obstacle surgit qui rend la dernière traversée impossible : le brouillard. Joan attend avec sa valise à l'embarcadère dans le crépuscule. Il est question obscurément d'un château et d'une malédiction. Des silhouettes passent conversant dans une langue incompréhensible. Une petite communauté s'interpelle et se salue l'ignorant presque complètement. Le mouvement est arrêté ; tout ce qui était clair est devenu confus ; elle était au centre, elle n'est plus nulle-part ; un coup de vent lui arrache l'itinéraire des doigts qui tombe dans l'eau noire et sombre.

    Après comme dans Le Rayon vert, il y a l'Ecosse, une tempête, le maelstrom ; et à la fin, quand le ciel s'apaise, on a trouvé tout autre chose que ce que l'on prétendait chercher.

  • Ulysse travesti

    Au cinéma, revu Le Mépris, de Godard.

    L'Odyssée travestie : Ulysse en robe jaune, bleue et rouge.

    [Poussin : Ulysse parmi les filles de Lycomède (détail)].

  • Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître

    Au cinéma, Le Rite, de Bergman.

    Après la représentation, dans une loge de théâtre. Un couple de comédiens. Elle, en clown, à demi démaquillée, boit et pleure d'un œil ; lui en habit de ville : l'artiste fatigué de son art, fatigué de la folie de son art.

  • A Matter of Life and Death

    Au cinéma, Une Question de vie ou de mort, de Michael Powell.

    Ce film est une merveille. Par exemple, la scène dans la grande maison qui sert de casernement à l'armée américaine. Des soldats montent le Songe d'une nuit d'été d'un certain "Shakespere". On suit un bref moment la répétition de la répétition de la pièce dans la pièce : The most lamentable comedy and most cruel death of Pyrasmus and Thisbe (délices de la confusion entre le monde joué et le monde du jeu). Maintenant les trois héros du film : le couple d'amoureux, la femme radio et l'aviateur tombé du ciel, suspendu entre la vie et la mort ; avec le médecin qui le sauvera. La répétition se poursuit à l'arrière-plan pendant que le médecin examine son patient. Il lui demande de fixer une comédienne au fond (qui est une fée juchée sur une table) et de décrire ce qu'il voit de côté à la limite de son champ de vision : à droite un feu et à gauche, dans notre direction, un rideau rouge.

    C'est trop beau. Je ne tiens plus en place dans mon siège. Je comprends tout. Je ne sais pas encore l'expliquer mais j'ai l'impression d'avoir tout compris. C'est exactement le chef d’œuvre de Velázquez, au Prado, l'un des plus beaux tableaux du monde : Les Fileuses.

    Plus loin, dans l'autre monde, l'avocat général rappelle à son adversaire et à l'immense assemblée (I had not thought that death had undone so many) : n'oubliez pas que nous sommes tous morts ici. Je me dis : les acteurs qui jouèrent cette scène sont pareillement morts, peut-être. Je suis vivant, provisoirement. Mais l’œil ne meurt pas ni la fable.

  • La Ragazza con la valigia

    Au cinéma, la Fille à la valise, de Zurlini.

    Eblouis. Deux têtes d'enfants éblouis, dans la nuit, sur le seuil d'un palais de Parme. Elle : parce que l'adolescent qui descend les marches est comme le Duc d'Edimbourg enfant. Lui : parce que la jeune fille qui vient de sonner, au bord des larmes, est une pauvre femme abandonnée (il va être son chevalier servant et réparer l'outrage infligé par son propre frère). Bien sûr cette vision n'est pas la vérité et tout de suite, pour que le jeu continue, il faut mentir : - Giura ! - Lo giuro !

    Mélange du rêve (la salle de bain noire) et du sordide (le verrou qu'Aïda ne manque jamais de fermer derrière elle). Alternance de la complicité : la chanson qu'elle lui chante ; l'air de Verdi qu'il lui joue. Et de l'incompréhension : son regard pendant qu'elle danse toute une soirée interminable sur la terrasse d'un hôtel avec des inconnus (car : un repas gratuit, ça ne se refuse pas).

  • Yngvildr et Thorvardr

    Ce que j'aime par-dessus tout dans les sagas islandaises, je ne sais pas comment l'appeler : leur laconisme ? leur ironie ? Un exemple dans la Saga de Sturla (trad. R Boyer). Voici comment on nous raconte, tout en se limitant aux faits, selon leur arrangement apparent ou officiel, toute une histoire tue : les amours illégitimes de Yngvildr et Thorvardr ; la naissance d'un enfant ; sa substitution.

    Ce fut pendant l'hiver que Thorvardr, étant allé aux bains à Snaelingsdalr, tomba de cheval quand il dut rentrer à la maison. Il s'écorcha le pied et eut une hémorragie qui l'épuisa. Ils allèrent à Tunga et il y demeura. Yngvildr lui pansa le pied. Il resta fort longtemps à Tunga, à se faire soigner. Au printemps il était tantôt là, tantôt à Hvammr. On raconta que Thorvardr et Yngvildr se parlaient plus qu'aux autres gens, mais leurs amis discutaient le fait.

    Au printemps suivant, Thorvardr déménagea pour l'Eyjafjördr et Yngvildr s'établit à Ballara. Elle se fit construire un bâtiment qui lui servit de chambre à coucher et y passa beaucoup de temps. Elle eut mal à une jambe cet été-là et ne circula guère

    Mais en automne, une femme vint là, six semaines avant les nuits d'hiver. Elle s'appelait Thordis et était fille de Leifr. Elle était de l'Eyjafjördr. Lorsqu'elle fut restée un court moment, elle donna naissance à une enfant. Celle-ci fut appelée Sigridr, son père étant Thorsteinn Thorleifsson, un homme du nord. En automne, elle s'en alla dans le nord dans l'Eyjafjördr.

    (C'est le défaut contraire qui m'a souvent gêné dans le récit de L'Homme de la plaine, de Mann. Il ne se contente pas de montrer les choses, il les dit, et même il les répète. Un exemple : le vieux propriétaire du ranch perd la vue ; on nous le fait comprendre trois ou quatre fois . Il y a ensuite la scène impressionante où il charge et tire à l'aveuglette contre l'homme dont il croit qu'il a tué son fils. Mais l'effet de surprise est perdu.)

     

  • Bergman

    C'est la saison ; je retrouve le chemin de la rue Saint André des Arts ; je ne viens pas parfaire ma connaissance du suédois (après vingt films je n'en ai je crois que ce mot in-gen-tink qui veut dire justement rien). Je viens d'abord retrouver cette lumière particulière de crépuscule immobile, un paysage mental, la nuit d'été si claire de l'été boréal.

    J'ai de la chance, c'est justement Sourires d'une nuit d'été, et c'est très drôle.

    Le fils fait des études de théologie. Son père se moque de lui (mais il prendra sa revanche). Sa belle-mère, moins âgée que lui, et la bonne le persécutent. Il me fait penser au jeune Johann / Strindberg dans Le Fils de la servante, découvrant Offenbach :
    Le jeune homme (...), encore tremblant de ses stigmates, exténué par sa lutte contre la chair et le diable, les oreilles remplies du bruit des cloches et des cantiques, entre dans le théâtre illuminé (...) et du fond du premier balcon il voit se dérouler ces tableaux de la joyeuse époque païenne.