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  • AXE

    (Le supplice qui attend Cincinnatus C. est la décapitation. Le prisonnier reçoit la visite de sa famille. Son beau-frère n’est pas la moitié d’un homme d’esprit : )

    "Take the word ‘anxiety’," Cincinnatus’s brother-in-law, the wit, was saying to him. “Now take away the word ‘tiny’, Eh ? Comes out funny, doesn’t it ? Yes, friend, you’ve really got yourself into a mess. In truth, what made you do such a thing ?"

    (Nabokov, Invitation to a beheading).

  • Claudel, selon Auden

    Auden, In Memory of WB Yeats

    (... Time)

    Worships language and forgives
    Everyone by whom it lives;
    Pardons cowardice, conceit,
    Lays its honours at their feet.

    Time that with this strange excuse
    Pardoned Kipling and his views,
    And will pardon Paul Claudel,
    Pardons him for writing well.

  • Trouvailles d’archéologue

    Couvrant ici les ornières et là-bas les îles, une végétation folle passe la rive du fleuve. Nous arrivons, sur la Loire, en vue de l’abbaye de G***. Le printemps vient buter contre les murs de l’église. Hautes parois aveugles, en brique. Peu savent que l’abside trilobée est bien plus ancienne que l’époque romane,  qu’elle remonte à l’antiquité tardive. L’abbatiale s’est installée dans les murs d’une basilique ; la tour au-delà est tout ce qu’il reste du palais impérial. Ces monuments, sans commune mesure avec l’importance du village, rendent compte de son passé de métropole romaine. Voyez aussi les statues du porche : leur style dit « tubulaire » est typique du Bas-Empire ; les membres du personnage trônant ne se différencient guère des montants du siège où il est assis ; une table taillée en bas-relief est posée sur ses cuisses et cache entièrement le haut du corps : ici la Croix du nouveau culte et des instruments de la Passion, la lance et les clous. Les archéologues ont remontés au sommet du clocher des fragments de son couronnement d’origine : ils ont remplacé la structure manquante par une coiffe de fil de fer qui laisse voir la toiture d’ardoise ; ils ont fixé au treillis les ornements qu’ils ont mis au jour. Les sculptures ne semblent pas plus épaisses que des plaques d’ivoire et faites de cette matière même ; elles  figurent des guirlandes de fruits, entre des victoires dont la silhouette généreuse fait penser aux Vénus préhistoriques.

  • Prokofiev, Scriabine

    Concert salle Pleyel.

    (Deuxième concerto de Prokofiev : les tailles sont à rebours ; le pianiste est plus grand que son piano qui déborde l’orchestre (le premier en gros plan, les deux autres éloignés par la perspective fausse, échelonnés derrière.) Dans la fameuse cadence du premier mouvement, le soliste a réduit le monde au mutisme ; il a terrassé son instrument et, de toute son envergure, lui a mis les deux épaules à  terre. Il fouille ses entrailles, le clavier, la caisse et le chaudron des cordes ; il en extrait les blocs sonores qu’il entasse ici et là, sans ordre apparent, cimentés par les grands mouvements alternatifs de ses mains fondatrices. A la toute fin seulement, un travelling arrière révèlera l’énorme construction, l’arche monumentale sous laquelle l’orchestre va passer, sonnant de la trompe.)

  • Un catalogue de bibliothèque

    Left alone, Cincinnatus went to work on the soup, simultaneously leafing through the catalogue. Its nucleus was carefully and attractively printed; amid thre printed text numerous titles were inserted in red ink, in a small but precise hand. It was difficult for someone who was not at specialist to make sense of the catalogue, since the titles were arranged not in alphabetical order, but according to the number of pages in each, with notations as to how many extra sheets (in order to avoid duplication) has been pasted into this or that book.

    (Nabokov, Invitation to a beheading.)

    (Cincinnatus C. vient d’être condamné à mort. Dans l’intervalle, l’administration pénitentiaire met à sa disposition une bibliothèque (une des plus riches du pays, nous dit-on), dont il choisit les livres dans un catalogue. Mais s'y repérer n'est pas facile car les volumes ne sont pas classés alphabétiquement mais en fonction du nombre de pages qu’ils contiennent.
    J’imagine sans preuve que l’ordre choisi est décroissant ; l'amenuisement est semblable à la brutale diminution du nombre des jours que Cincinatus a encore à vivre : d’ailleurs ce compte n’a-t-il pas été identifié fort judicieusement, au début du roman, avec la liasse des pages ultérieures que le lecteur peut à tout moment jauger, dans le livre qu’il tient à la main, évaluant orthogonalement l’étendue qu’il lui reste à parcourir ?)

  • Evasions faciles

    Je relis le Hussard sur le toit

    (Au chapitre 11, la libre chevauchée de Pauline et d’Angelo s’interrompt brutalement quand des soldats embusqués dans un village les entourent ; les deux héros sont appréhendés et conduits, selon les règles de la quarantaine, jusqu’à la petite ville voisine pour y être enfermés dans le lazaret (un ancien château fort occupé par un couvent). La prison est un gros donjon qui s’élève haut au dessus du bourg et où sont tenus à l’écart quelques dizaines de voyageurs attrapés. Les relégués occupent la plate-forme au sommet, sous le toit : un espace sans cloison, largement ouvert sur le vide et les horizons lointains. Si le décor rappelle la tour Farnèse de la Chartreuse de Parme, il n'y a point ici d’ « altitude spirituelle » en proportion avec les « lieux élevés » chers à Stendhal. C’est au contraire un moment de dépression : Pauline, accablée par la promiscuité et la bassesse des autres prisonniers, manque succomber à la même résignation ; or s'abandonner à cette faiblesse morale équivaut à être contaminé par le choléra (sur le plan allégorique où la maladie marche quelquefois). Mais Angelo insensible à la contagion l'emmène ; il a déjà machiné un plan, posé des amorces auprès des soldats, préparé l'évasion... Cependant l'obstacle se dénoue bien plus facilement. Dans la pièce du bas, un verrou saute avec un peu de poudre, la porte cède ; un long boyau, un colimaçon étroit mènent jusqu'au potager des bonnes soeurs : de là, on peut se laisser glisser dans la rue en contrebas. C'est beaucoup du charme du roman : cette désinvolture avec laquelle il traite les conventions du réalisme en littérature. La forteresse patiemment décrite, armée et peuplée s'évanouit comme un mauvais rêve, comme un enchantement dans l'Arioste quand le sortilège est brisé. "L'âme italienne" du Hussard a pris la place de l'anneau de Bradamante, déjouant les mirages de la servitude volontaire, de la peur et de la méchanceté humaines. Pauline et Angelo reprennent leur galop dans le pays ouvert.)

     

  • Tallis, White, Byrd

    Concert dans la chapelle du Château de Versailles.

    (Pour s'en tenir à l’accessoire, l'exorde et l'épilogue  : le concert s'ouvre et se termine sous la forme d'une procession. Le choeur remonte l'allée en chantant pour aller prendre sa place sur l'estrade ;  à la fin, il redescend de même et décampe avec la musique qu'il porte et fait entière lui-même, a cappella (symphonie des adieux où le public se retrouve bêtement tout seul à applaudir dans l'église). A la tête, le chef bat la mesure et marche dignement comme un major devant sa troupe un jour de parade. Sa sortie est néanmoins rendue un peu ridicule par le  bis, que l'ensemble ambulant exécute en un aller-retour maladroit entre la sacristie, au fond du vaisseau, et le vestibule. Quand le chœur défile dans l’allée, son unanimité se débande ; chaque voix s'isole de l'ensemble à mesure qu’elle se rapproche et passe tout près : chacune est un fruit dont on enlève les peaux jusque à ce que le cœur nu et un peu grêle apparaisse, à sa hauteur propre, isolé de ses frères et dépouillé de la gangue d’échos, dont la réunion est la musique. )