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  • Les couloirs de la nuit

    Il disparut sans bruit. Il y avait ici un silence plus grand qu'ailleurs. Un rossignol se mit brusquement à chanter.

    – Il m'a fait peur, dit Michelotti.

    Les roulades du rossignol semblaient frappés sur un tambour de métal et retentissaient dans d'interminables couloirs de la nuit.

           

    (Giono, le Bonheur fou)

  • Les eaux de Courances

    On entre dans le domaine par la petite porte mais, tout de suite après la maison du gardien, on rejoint l’allée d’honneur à son départ, juste derrière la grille fermée. De part et d’autre mais à bonne distance (de façon à ne pas déborder la vue sur le château) des arbres d’alignement ont été plantés (en 1782, nous dit-on), sur une file à droite et deux à gauche. Ces platanes sont montés très haut, à proportion maintenant avec l’élévation de la façade.  L’ensemble ouvre un vaste réservoir, perméable à l’air et à la lumière, devant le corps de logis brique et pierre, coiffé d'ardoise (le vent bruit dans les feuilles et un jour traversant éclaire de l’intérieur les petits carreaux des croisées). En approchant on découvre encore dans l'intervalle les douves et le canal perpendiculaire ; avec eux, un troisième élément mêle ses reflets aux jeux aériens. L'eau provient des nombreuses sources qui percent dans le parc. Leur onde filtre ou tombe dans les bassins également transparents (les plantes montent comme des arbres dans le bain limpide).  C’est ici le secret de Courances : la palpitation de cette eau courante qui passe et fait battre l’espace. Elle naît, là-bas tout au fond du parc, dans le sous-bois, derrière le rond d’eau qui termine la perspective : on la voit sourdre dans son trou faisant danser le sable.

  • Gounod, Saint-Saens, Chostakovitch

    Concert à la salle Pleyel.

    (Joli moment à la toute fin du mouvement central du concerto de Saint-Saens. Le violon, au plus aigu, cercle d’un fil de cuivre les délicates pièces rondes que souffle la clarinette ; c’est merveille de voir les deux instruments s’ajuster si bien malgré la distance. Tout le mouvement est repris en bis ; on peut donc admirer deux fois la prouesse mais il faut aussi supporter alors l’ennui de tout ce qui la précède.)

  • Altitudes du temps

    A mesure que l'avion s'élève, le temps ralentit, le pays survolé s'éternise.  Les villes sont vides ; entre elles, les routes tirent des lignes, tracent des boucles mais l’étendue reste sans parcours. L’érosion infinie a rendu la terre aussi plane que la mer. Dans l’estuaire étale, la lente décantation du sable a tissé un merveilleux voile, avec des gradations infimes des profondeurs à la lumière ; des volutes marquent à chaque pile du pont la trace des courants morts. Sur le rivage, toutes les éoliennes font relâche, le ressac s’avère chose peinte ; des accents blancs et brefs ponctuent les eaux ocellées et immobiles (chaque œil était une vague). L’avion descend, les pales se remettent à tourner, les vaguelettes dansent, les trafics se dénouent, un chien court dans l'herbe, un cycliste suspend son effort, coule un regard le long de sa jambe et jette un coup d’œil en arrière. – La cheminée d’usine formait avec sa fumée un seul corps stable, mi tubulure mi coton. Et la lourde péniche appuyée dans l'eau, enfoncée dans sa glu, fixait à son pied le sillage négatif, inerte comme une ombre.

  • La Représentation de l'âme et du corps

    D'Emilio de' Cavalieri, à la Cité de la musique.

    (L’orchestre, les chœurs et les acteurs sont disposés autour du chef  en arcs concentriques qui s’étagent dans la profondeur ; les  instruments d’époque donnent à cet arrangement un peu de l’apparence des chœurs célestes comme ils se laissent voir, sur leurs nuages, dans les tableaux des maîtres anciens. Mais la beauté de la représentation cache la relative misère de la musique et du livret. La subtilité sonore des timbres et des voix contraste avec la pauvreté du fond ; et tient lieu d’une mise en scène opulente par ses décors, ses costumes et ses machines que le canevas trivial aurait rendue nécessaire. A un certain moment, l’âme interroge le ciel à propos du salut ; lorsque l’écho, certes joliment chanté par les anges, fait les réponses en répétant la fin de ses questions, je suppose que le trait d’humour est involontaire et qu’il ne s’agit pas de dénoncer la  supercherie du catéchisme représenté).

  • Evasion factice

    Toujours l'Invitation au supplice de Nabokov.

    (Depuis plusieurs jours, ou nuits, le condamné à mort entend un bruit de sape dans les profondeurs de la forteresse. Il met longtemps à en identifier la provenance ; la besogne est clandestine et s'interrompt à l'arrivée du gardien. Mais, au plus silencieux de la nuit, Cincinnatus parvient à communiquer, en frappant contre le mur, avec les mystérieux travailleurs. Bientôt il ne peut douter que l'on creuse vers lui et qu'un ami inconnu s'emploie à venir à son secours. Les bruits redoublent : enfin la paroi cède ; hors des gravats surgissent M'sieur Pierre et, à sa suite, le directeur de la prison, hilare. M'sieur Pierre n'est autre que le prisonnier qui occupe la cellule d'à côté, il est du dernier particulier avec les autorités, et ses visites importunes ne sont pas le moindre des tourments infligés à Cincinnatus. M'sieur Pierre se réjouit du nouveau chemin établi entre les deux cachots et n'a de cesse que Cincinnatus l'emprunte à son tour. Le tunnel est plein d'embranchements et de culs-de-sac ; au retour de la visite, Cincinnatus (il est seul, cette fois) s'égare dans ce labyrinthe ; il rampe à l'aveuglette ; et finit pas deviner une lumière : il progresse vers elle et débouche dans une grotte qui ouvre dans la pente au pied de la citadelle.

    Il est libre !            

    (Dans mon souvenir (le plus marquant de ma première lecture), les pages qui suivent cet éblouissement faisaient tout un chapitre. Non : ce ne sont que deux paragraphes, brefs autant que le cri de la Lulu de Berg O Freiheit ! Aussitôt après, une petite fille surgit d'un buisson, prend Cincinnatus par la main et le ramène dans la prison.))

  • Mozart, Bruckner

    Concert salle Pleyel.

    (L’Adagio de la Septième est joué avec une certaine lenteur ; elle laisse, à chaque retour, les tubas Wagner longtemps monter et imprégner les lointains de leur couleur, où marche le souvenir du convoi funèbre de Siegfried. Mais le plus beau, encore une fois, c’est, après la grande vague du climax (couronnée d’un coup de cymbales et de la sonnerie du triangle, un peu d’écume), quand le flot se retire, la vaste clairière lumineuse, augurale et vide (le chef bat la mesure comme l’aruspice dessine le templum dans le ciel.) )