Toujours l'Invitation au supplice de Nabokov.
(Depuis plusieurs jours, ou nuits, le condamné à mort entend un bruit de sape dans les profondeurs de la forteresse. Il met longtemps à en identifier la provenance ; la besogne est clandestine et s'interrompt à l'arrivée du gardien. Mais, au plus silencieux de la nuit, Cincinnatus parvient à communiquer, en frappant contre le mur, avec les mystérieux travailleurs. Bientôt il ne peut douter que l'on creuse vers lui et qu'un ami inconnu s'emploie à venir à son secours. Les bruits redoublent : enfin la paroi cède ; hors des gravats surgissent M'sieur Pierre et, à sa suite, le directeur de la prison, hilare. M'sieur Pierre n'est autre que le prisonnier qui occupe la cellule d'à côté, il est du dernier particulier avec les autorités, et ses visites importunes ne sont pas le moindre des tourments infligés à Cincinnatus. M'sieur Pierre se réjouit du nouveau chemin établi entre les deux cachots et n'a de cesse que Cincinnatus l'emprunte à son tour. Le tunnel est plein d'embranchements et de culs-de-sac ; au retour de la visite, Cincinnatus (il est seul, cette fois) s'égare dans ce labyrinthe ; il rampe à l'aveuglette ; et finit pas deviner une lumière : il progresse vers elle et débouche dans une grotte qui ouvre dans la pente au pied de la citadelle.
Il est libre !
(Dans mon souvenir (le plus marquant de ma première lecture), les pages qui suivent cet éblouissement faisaient tout un chapitre. Non : ce ne sont que deux paragraphes, brefs autant que le cri de la Lulu de Berg O Freiheit ! Aussitôt après, une petite fille surgit d'un buisson, prend Cincinnatus par la main et le ramène dans la prison.))