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  • En chemin

    Avant Liège et après, jusqu'à l'invisible frontière avec l'Allemagne, le train ralentit. Le temps perdu et ce qu'on voit des fenêtres du train ont la couleur, le charme dépressif des romans de Dhôtel : la vallée de la Meuse, puis les reliefs, les vallons, les modestes altitudes, les rivières rapides et peu profondes, les petites villes au creux des collines, leur gare en brique, les bois enchevêtrés, l'automne presque invisible, le jour pâle et lumineux en haut des pentes, l'herbe des talus.

  • Judith ou le fantôme

    La soirée se prolonge. Henri le Vert se retrouve seul à boire avec les quatre ivrognes en présence de Judith. Enfin la belle demande à son cousin de la raccompagner. A la sortie de l'auberge elle l'entraîne dans un raccourci : ils laissent loin derrière les ivrognes qui ont commencé à la poursuivre.

    Dans la nuit noire, sur la grand route, le jeune homme suit sa compagne, effrayé et fasciné, si bien que restant quelques pas en arrière, il ne peut s'empêcher de loucher vers elle tel un voyageur qui voit avec angoisse, dans la campagne, un spectre marcher à son côté.

    Un peu plus tard la belle se déguise effectivement en fantôme.

    Judith a fait entrer Henri chez elle ; ils se sont installés dans sa chambre. Ils sont assis côte à côte devant une table quand, au bruit des ivrognes qui approchent, Judith éteint précipitamment la lumière.

    Nous nous gardâmes bien de bouger. De lourdes gouttes de pluie fouettaient les vitres, accompagnées d'éclairs (...) (Nos hommes) se mirent à tempêter et l'un deux grimpa le long de l'espalier jusqu'à la fenêtre, pour regarder dans la chambre obscure. (...) Tout à coup un éclair illumina la pièce et l'homme aux aguets put reconnaître Judith à son vêtement blanc.
    - La satanée sorcière est assise à sa table (...)
    - Laisse-moi un peu voir !

    Mais tandis qu'ils se relayaient et que la chambre était redevenue obscure, Judith glissa d'un trait jusqu'à son lit, prit la courtepointe blanche et la jeta sur la chaise (...) Un deuxième éclair, encore plus fort, inonda la chambre de lumière (...) :
    - Ce n'est pas elle ! ce n'est qu'une toile blanche.

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)

  • Carnaval

    Pour les fêtes du Carnaval, les habitants de la contrée ont décidé de donner une représentation de Guillaume Tell. Quelques-uns feront les comédiens, les autres les figurants ou les spectateurs. La pièce durera tout le jour et se transportera, entrecoupée d'allées et venues, de pauses et de réjouissances, dans les différents lieux qui servent de décor. Le jeune Henri le Vert, en sa qualité d'artiste peintre, est sollicité pour les costumes (armes anciennes et robe d'amazone). Il en profite pour régler la distribution de deux rôles oubliés, quasi muets ; lui-même et sa bien-aimée, inavouée encore, seront deux amants. Mais personne ne le saura, pas même elle, car l'histoire d'amour manque dans la version abrégée de la pièce de Schiller qui est jouée ce jour-là.

    Les acteurs s'identifient à leur personnage. Les scènes réelles se mélangent aux scènes écrites. Alors qu'un péager obtus veut faire payer la taxe pour le passage des figurants, l'aubergiste qui joue Guillaume survient, s'interpose et lève la barrière au milieu des acclamations.

    Cependant, l'après-midi, le souffleur (c'est l'instituteur qui a pris cet emploi-là) rejoint les deux jeunes gens et donne à lire à Anna les parties manquantes de son rôle et qu'elle ne connaît pas

  • Mémoire

    Longtemps quand j'écoutais une certaine musique de Bach (soyons, une fois, précis : l'Invention n°2 en ut mineur BWV 773 jouée au piano par un fameux interprète canadien), je croyais entendre quelques vers de Milosz (à la façon d'un nom que l'on met sur un visage, ou du titre d'une chanson qu'on retrouve bien après en avoir reconnu l'air) .

    Le début de la Symphonie de septembre,

    Soyez la bienvenue, vous qui venez à ma rencontre
    Dans l'écho de mes propres pas, du fond du corridor obscur et froid du temps.
    Soyez la bienvenue, solitude (...)

    ou bien deux vers de H :

    (...) l'oiseau de cristal qui dit mlî d'une gorge douce
    Dans le vieux jasmin somnambule de l'enfance.

    (J'ai la mauvaise habitude d'écouter de la musique en lisant. Quelquefois la mémoire conserve arbitrairement la coïncidence d'un soir entre une lecture et la musique).

  • Moutons d'or

    Le tableau est couvert de feuilles d'or en partie décollées. Une boîte transparente le protège des courants d'air mais n'a pas empêché la chute de quelques plumes. Les copeaux de métal précieux reposent sur le fond de plexiglas ou de verre.

    Ailleurs une banquette tout blanche, plus profonde que haute, court en bas des murs (pour éviter sans doute que le nez des visiteurs n'approche de trop près la couleur suspendue).  Aucun pied ne balaye, la poussière s'accumule. Les moutons roulent librement.

  • Aucune eau... aucun nuage...

    Il me fallut en effet attendre à plus tard pour découvrir nettement que la jouissance oisive et solitaire de la puissante nature amollit et consume l'âme sans la rassasier, tandis que nous trouvons dans sa force et dans sa beauté un appui et un aliment, si notre propre personne, rien que par les dehors, représente une valeur et une signification en face d'elle. Même alors, il arrive souvent qu'elle nous domine encore trop par son immobilité. Là où aucune eau ne bruit, où aucun nuage ne bouge, on fait volontiers du feu pour l'exciter au mouvement et la voir un tant soit peu respirer.

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)

  • Mozart, Dutilleux, Chostakovitch

    A Pleyel.

    Un concert dominé par l'interprétation de la Cinquième Symphonie de Chostakovitch, après l'entracte. Lentes ou brutales, les grandes figures d'héroïsme ou de triomphe y apparaissent absolument dépourvues d'enthousiasme, stériles, nues et mécaniques, mises à distance. S'en détourne une voix très naïve, dans le largo, un célesta (comme l'Idiot à la fin de Boris Godounov ?)