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  • Un morceau de sucre trempé d'encre

    A intervalles réguliers (...), la touffe de plumeaux brûlés surmonte un amas de masures noirâtres faites de boue et de paille hachée, aux parois vacillantes, aux petites coupoles de guingois, incroyablement sales, titubantes, sinistres, ensevelies dans une poussière de hauts fourneaux, ne tenant debout que par habitude et prêtes à se dissoudre à la première ondée, comme un morceau de sucre trempé d'encre. Quelques ânes à l'ombre percée d'un tamaris, quelques femmes en deuil éternel, accroupies le long de cases qui ont l'air de jouer à se renverser, quelques enfants nus, en chocolat, couchés dans de la poudre couleur de marc de café ou de mâchefer ; et, sur tout cela, un grand ciel sec, éblouissant, où ne passe jamais un nuage.

    (Maeterlinck, le Royaume des morts)

    [Ne dirait-on pas au lieu d'un paysage la description d'une photo ancienne ? sépias sans épaisseur, mouillés de pétrole, sous un ciel comme le verre mat d'une ampoule électrique.]

  • Lucia di Lammermoor

    A l'Opéra Bastille.

    Celui qui n'est pas ému par elle a une pierre à la place du coeur.

    ... disent à un certain moment les surtitres. Il faudra bien que je me résigne à rentrer chez moi avec cette pierre dans la poitrine (est-elle lourde !?) puisque je suis sourd à l'émotion que cette musique exprime...

  • La Clémence de Titus

    A l'Opéra Garnier.

    Le décor est un grand cube blanc (on se croirait toujours à Pleyel). Le palais a été inauguré trop tôt, n'est pas encore meublé ; la peinture sèche. De longs récitatifs précèdent les airs. On a l'impression d'une « œuvre de prestige », de haute culture (opera seria, Rome antique, Métastase), luxueuse mais quelque peu inhabitée. Un programme racinien lie les personnages : Sextus aime Vitellia qui convoite Titus qui se propose d'épouser Servilia qu'aime Annius. L'histoire romaine fournit des accessoires sans relief (le Sénat, le Capitole, Bérénice...)

    La distribution accentue l'effacement de l'Empereur, « meilleur des princes », mais qui à force de vouloir plaire à tout le monde, risque d'être totalement dépourvu d'existence. (Si peu vivant qu'il ne peut mourir : dans le magnifique finale du premier acte, seule son ombre est poignardée). La réalisation de l'opéra tord les rapports entre les rôles. Un chanteur l'emporte sur les autres (en l'occurrence Sextus) ; il draine à lui l'émotion et la vie ; les autres se font marionnettes et le drame devient son rêve ou son cauchemar, la chambre d'écho des hantises et des désirs de son personnage.

  • Beethoven

    A Pleyel.

    C'est (peut-être) la première fois que j'entends la Deuxième Symphonie qui, avec le mal de crâne, me paraît interminable.

    Mais, en seconde partie, l'Eroica est un tout autre monde (Figures du dépassement : cette brutalité sans le souci de plaire (Pan ! pan ! pan ! pan ! pan ! pan ! dans le premier mouvement) couronnée pourtant d'une aisance souveraine et véloce, ces départs contrariés (phrases qui finissent en trébuchant au début du finale) fondus ensuite dans l'élan irrésistible, ce chant qui sort de lui-même, porté sur un plan supérieur, dans une autre lumière, comme la marche funèbre devenue récit ou épopée...)

  • Vaisseau en perdition

    Au cinéma : Nausicaa, de Miyazaki.

    Le récit est moins riche, moins ambivalent et le dessin moins beau que dans les films ultérieurs.

    Cependant une scène de naufrage : nuit de tempête dans le haut pays du vent. Les ailes des moulins battent lourdement dans les ténèbres. Alerte ! une odeur avec le vent, une lueur dans le grand souffle sombre : une masse vient frôler le haut des tours. C'est un immense vaisseau aérien en perdition. Avant qu'il ne s'écrase, on entr'aperçoit par un hublot un jeune visage captif de l'énorme désastre.

  • La voiture arrêtée

    Au cinéma, revu Moonfleet.

    Tous les ingrédients réunis (contrebandiers, souterrains, fantôme, trésor caché...) ne font pas un bon film d'aventure, mais l'histoire crépusculaire d'un homme qui meurt au moment où il décide de changer de vie, choisissant le bien contre le mal :

    Le carrosse s'arrête au bord de la route. Fox monte rejoindre ses deux complices. Ils s'installent côte à côte dans l'intimité forcée de la caisse tapissée de damas : lui noir et sombre ; eux un couple d'aristocrates dépravés, avides et sans scrupules. Au fur et à mesure que ceux-ci se vautrent plus avant dans leur cynisme, celui-là se renfrogne et se mure dans le silence.

    A un certain moment le souvenir de l'ami trahi devient intolérable, Fox saute hors de la voiture et la fait stopper. Là, sur la lande, dans la nuit, en quelques instants d'une violence et d'une sécheresse extraordinaires, se joue leur destin : un coup d'épée, une détonation, les chevaux emballés ; Fox est blessé à mort et les deux autres vont brûler en Enfer.

  • Mahler

    Salle Pleyel.

    O Röschen rot !

    Je vois des pivoines dans une teille de cuivre, avec leur couleur dans l'eau (Claudel)

    (Au début d'Urlicht, la voix penchée sur lui colore le souffle de l'orchestre ; rouge sombre noyé qu'un peu de lumière fait disparaître, à peine vu.)

    ***

    (Le finale a quelque chose de sinistre avec son essai d'auto-consolation véhémente : combien fort qu'il gueule, le chant ne laisse rien derrière lui dans la salle claire, quand il cesse. Le chœur-Moi clame « je ne mourrai pas » et le silence manque de répondre à l'assemblée de fantômes : « c'est déjà fait »).