En guise de récréation entre le Prologue (hier) et la Première journée (aujourd'hui) de la Tétralogie, concert à l'Auditorium (à sifflement) du Musée d'Orsay.
Malheureusement encore des transcriptions : pas franchement le mieux pour profiter de la richesse des timbres des œuvres au programme (l'accompagnement des lieder de Zemlinsky tournait à la rengaine ; un piano indiscret accentuait le côté paroxystique de la 1ère Symphonie de Chambre de Schönberg (malgré la beauté du chant de la clarinette) ; l'équilibre entre la voix et les instruments dans les lieder de Mahler était problématique).
Le mieux en terme de cohérence d'écoute, c'était donc la seule œuvre dans son format d'origine : le quintette pour piano de Webern avec alternance de phrases ultra-(post)-romantiques et de grincements de cordes (c'est sans doute ce qu'on appelle « une œuvre de transition »).
(Un mot tout de même sur le dernier des Chants d'un compagnon errant, avec son rythme de marche inquiète qui s'apaise et finit dans une lumière pareille à celle de la fin du Chant de la Terre, comme la solution d'une alternative : Welt und Traum).
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L'Or du Rhin
Onze ans (et quelques mois) après, retour au Châtelet pour le Prologue de l'Anneau du Nibelung. Je ne me hasarderai pas à gloser sur la signification profonde de ce cycle temporel (manifestement funeste).
Quelques remarques (avant que ça se confonde avec la Walkyrie demain) :
- première merveille : la beauté de l'orchestre. Dès l'évocation initiale des flots du Rhin, il y a la richesse des timbres, la fusion progressive des lignes répétées et superposées, les thèmes qui semblent sourdre des profondeurs (le genre de chose qu'on n'entend pas aussi bien au disque confirme Zvezdo)
- des passages longuets (la scène de ménage Fricka/Wotan, dieux discrédités dès leur première apparition) mais d'autres qui donnent envie de revenir (le Rhin, le récit de Loge, la fatigue des Dieux, les forges des Nibelungen, les transformations d'Alberich, la malédiction de l'anneau ...)
- le mode récapitulatif : quand Wagner a mis en scène une action il oublie rarement d'en faire le récit un peu plus tard. Par exemple à la scène 3, premier épisode, Mime se fait battre comme plâtre par Alberich devenu invisible, deuxième épisode, Mime détaille sa mésaventure à Wotan et Loge. Dès la scène 2, Loge décrit les événements qui se sont déroulés à la scène 1. Mais en l'occurence c'est un des plus beaux passages de l'opéra grâce à l'enchaînement des letimotive : ils font passer dans le récit les étincelles du dieu du Feu qui parcourt le monde, puis les miroitements des eaux du Rhin, puis l'éclat de l'or qui allume la convoitise des dieux et des géants
- le mode prophétique : pendant du précédent. La renonciation d'Alberich, la malédiction de l'anneau, la prophétie d'Erda. Le passé se récapitule, l'avenir s'annonce. (Tout cela serait lettre morte sans la musique qui projette dans le présent toute la richesse rétrospective des opéras à venir : par exemple le thème du Crépuscule des Dieux dans la scène d'Erda).
- le motif du Tarnhelm : le plus impressionnant des thèmes de l'Anneau du Nibelung ? associé au casque magique, celui qui permet les métamorphoses. Il domine la scène des transformations d'Alberich. Une musique sinistre et incertaine comme un souffle des profondeurs, un déferlement de brumes. -
Jour J
Dilettantisme : pas révisé, pas relu ce qu'en disent Proust, Debussy ou Nietzsche, pas relu l'Edda, pas lu le livret, ni le Chant des Niebelungen, ni le Capital, ni le Monde comme volonté et comme représentation, pas comparé les versions Solti, Haitink, Karajan, Boulez, Knappertbusch, Böhm ou Furtwängler, pas entendu les interviews de Bob Wilson, ni de Christoph Eschenbach, passé ces dernières semaines à écouter du Wolf et du Mozart, etc. Mais mieux vaut ne pas le dire, il faudra en parler demain.
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Ligeti, Mozart
Au Théâtre des Champs-Elysées, quatuors de Mozart et de Ligeti.
Maintenant que les grands secrets de l'univers sont éclaircis et que la toile du hasard gît déchirée à terre, j'ai quelque réticence à aligner des banalités contingentes sur la musique qui servit de prétexte à cette révélation.
Sans y aller par quatre chemins : il y avait le Quatuor n°2 de Ligeti dont la lisibilité était accentuée par la petite conférence d'introduction faite par le violoncelliste (mais qui renforçait la qualité d'anthologie de l’œuvre).
« Une impression d'immobilité qui s'impose au fur et à mesure que le rythme s'accélère » dans le premier mouvement ; « des mécaniques désaccordées » dans le troisième (les fameux pizzicati doublés en bis par ceux de Bartók) ; et dans le cinquième, « une mélodie qui vient flotter comme un au-revoir à l'histoire de la musique ».
(Bien sûr, c'est l'au-revoir que j'ai préféré - dont les connaisseurs nous diront peut-être s'il peut faire penser à la San Francisco Polyphony).
Après deux autres quatuors de Mozart (d'un quatuor à l'autre le premier et le second violons échangeaient leur place), le couronnement de la soirée c'était (l'avant-dernier) du même, le n°22, en si bémol majeur K589. Si vous vous intéressez aux quatuors de Mozart (plus on les écoute, plus on les aime), allez plutôt ici ou là. Ce matin je me souviens du thème en forme de toupie qu'on lance du premier mouvement (relance surprise à la moitié du morceau) ; des phrases du violoncelle et du violon dans le mouvement lent ; et surtout du Finale avec (là aussi à peu près au milieu) le passage où les musiciens empoignent le thème avec une fougue toute Beethovénienne. -
Pas vu l'expo Klimt
Une dame (...) me demande si je m'exerce à l'analyse de mes songes, comme il se fait dans l'Europe centrale où il n'est point de personne bien née qui manque, chaque matin, à retirer de ses propres gouffres quelques énormités abyssales, quelques poulpes de forme obscène qu'elle s'admire d'avoir nourris. (Valéry - Petite Lettre sur les mythes, Variété 2)
Il n'est pas si tard quand je sors du cinéma (ayant vu A travers la forêt, de Civeyrac ?). Je décide d'aller au Grand Palais voir l'expo Klimt. C'est une bonne idée : malgré l'affluence, il n'y a personne à l'extérieur. En revanche une certaine agitation devant les caisses. On court pour être les premiers au guichet. Avec raison : l'accès est limité par un quota, bientôt atteint. Je règle difficilement le prix d'entrée (2 euros 13) car les pièces jaunes que je pose sur le comptoir s'avèrent être presque toutes des dollars américains (les lettres US se détachent dans la lumière rasante). L'employée qui toujours s'exprime avec réticence, me montre un reçu de carte bleue et m'annonce une attente d'un quart d'heure : il ne reste que deux places ; elles ne sont pas pour moi puisque je suis seul.
J'entends qu'on m'appelle. C'est une jeune femme blonde, élégante, les cheveux courts, qui était assise au fond du hall sous les fenêtres extérieures. Un type l'accompagne, trois pas en arrière, rond et jovial, acquiesçant à tout ce qu'elle dit. Elle me connaît, je ne la reconnais pas. On s'est rencontrés « aux trois jours » d'un séminaire de formation « en résidentiel ». La conversation se poursuit dans un café. Elle a pris place sur une banquette vert bronze ; au-dessus d'elle un miroir. Elle évoque des souvenirs communs : on avait passé une soirée dans un restaurant de cuisine exotique ; on avait essayé le ragoût de singe (?). Une mauvaise idée : que des os, pas de viande. Elle répète ce qu'elle disait alors, combien dans ce séminaire elle m'enviait ma réussite, alors qu'elle, elle échouait. Elle échoue encore (comme son allure, son assurance, la cour qui la sert démentent ses paroles !). Le récit de ses malheurs prend un tour plus intime : elle raconte ses démêlés avec sa mère, qui la dénigre systématiquement. L'autre jour encore, s'entendre dire (je cite) : « hier déjà sur la poupe, aujourd'hui une pouf' ! »
Mais je me suis éloigné. Mon siège lui tourne le dos. Des têtes hilares sont venues s'intercaler entre elle et moi. Comme il s'agit de montrer Paris au cousin de Province (le gros jeune homme en costume qui l'accompagne), ils parlent d'aller voir les illuminations de l'Opéra.
Ici c'est une caricature de Veronica Lake qu'on écoute : grasse et luisante (comme Circeto ?), elle fait des discours sur sa coiffure, une masse de cheveux laqués, des mèches grises et jaunes avec des crans. Je me souviens alors que j'ai oublié ma serviette bourrée de papiers, très lourde, devant la caisse du Grand Palais. Il est trop tard pour voir l'expo. Je vais rentrer chez moi.
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Peinture
C'est une émission du genre de celles de la télé-réalité. Un groupe de robustes jeunes filles passe un temps dans une école à apprendre les bonnes manières. Elles sont sanglées dans un uniforme vert criard et des dames d'âge respectable viennent leur donner des leçons de maintien. Retenons que pour porter un toast il faut lever son verre en le tenant par le pied, le faire tourner dans le sens des aiguilles d'une montre en direction de l'assistance, tout en allant chercher le regard de chacun des convives.
Toute l'intrigue est la répétition d'une seule séquence. La directrice et les éducatrices s'absentent pour discuter pédagogie (autour d'une nappe blanche, devant une carafe d'eau, elles parlent du bout des lèvres, menton levé, doigts noués). Alors le naturel revient au galop, les souris dansent. Réunies pour un cocktail avec les garçons de l'école hôtelière, les filles gueulent, boivent et rotent, s'endiablent jusqu'à rouler par terre (voir la Kermesse de Rubens - ou Joardens, ou Hals). Bientôt la caméra presque subjective suit le retour de la directrice à travers les escaliers et les couloirs. L'instant où la porte va s'ouvrir sur le désordre à son comble marque la fin de l'épisode (ou l'heure de la pub).
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4/4/4
Pas du tout obsédé de métrique, mais je me fais alors la réflexion (pour plus tard) qu'un des alexandrins que j'aime le plus est en 4-4-4 (Mallarmé, Don du Poème) :
O la berceuse, avec ta fille et l'innocence