(Personne ne me le demande)
Cinq choses que j'aimerais faire avant de mourir : lire der Nachsommer, écrire un sonnet, faire place nette, prendre deux ans de vacances ici ou ailleurs (renouvelables ad libitum), tout revoir.
Cinq choses que je fais bien ou volontiers : lire, faire des phrases sans verbe, nager, être intelligent par hasard (présomptueux !), disparaître.
Cinq choses que je fais mal ou pas du tout : la musique (la lire, la comprendre, siffler, chanter etc.), la cuisine, la morale, les mots croisés, ceci.
Cinq choses qui m'attirent chez l'autre : son pas, ses vues, ses souffles, son corps, son jour.
Cinq expression favorites : (un silence ébloui), (un silence amusé), (un silence distrait), (un silence accablé), (un silence muet).
Cinq célébrités irrésistibles : lire ci-contre à droite.
Cinq dont je veux connaître les réponses à ce questionnaire : je ne veux embêter personne.
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Remémoration
L'autre soir, la ville voilée : des toiles tendues devant les façades en ravalement, ailleurs la brume et l'éclairage nocturne. Mais ce matin, le soleil dévêt ... (la suite dans Mallarmé).
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Seconde tentative
Après l'éclatante profession de foi hugolienne du Vrai Parisien, je ne me risquerai pas à une défense de Tintoret. A vrai dire je ne sais pas grand chose de ce peintre. Certes, au cours des années, j'ai lu son nom dans un poème de Bonnefoy, dans un roman de Bernhard, chez Henry James récemment : j'ai vu beaucoup de ses toiles et beaucoup d'admirables à la Scuola di San Rocco, ailleurs dans Venise, à Vienne, à Madrid. La dernière, la Cène de San Giorgio Maggiore : belle par sa maîtrise et son audace dans la représentation de l'espace, par la force des corps et des poses, par la lumière qui émane des visages ; l'art d'isoler et d'unifier, de représenter le détail de gestes profondément humains au sein d'une ombre surnaturelle, continue, qui assourdit les couleurs, de mêler fantômes et vivants.
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Première tentative
La Cène. (Ombres cernées d'où la lumière sourd comme d'une lampe, corps en formation dans l'espace, ouvrant creusant forçant l'espace, façonnés vivants par la lumière dans la fumée et l'ombre).
Suzanne et les vieillards. (Nue, huile limpide miroir, flamme et soie). -
Message
Un lecteur écrit :
... depuis deux jours, accablé par EC. L'impression de l'avoir là, juchée sur les épaules, le cou serré par ses cuisses sans chair. Elle me tire les cheveux, me ricane dans les oreilles, trop contente du tour qu'elle m'a joué ... Quel crampon ! Elle émiette du pain pour les canards (il n'y en a pas !) et déjà des palmes battent l'eau, des cous se tendent, des becs claquent.
Non. Elle ne dit rien, elle ne fait rien. Silencieuse, maussade, lourde comme le plomb. Pourtant un sac vide, toile décousue, plastique crevé, mal gonflé par la fatigue et par l'auto-apitoiement et par mon souffle. Elle se penche sur ce que j'écris : son ombre sur la phrase qui se termine. Un bâillement. Est-ce sa bouche, est-ce la mienne ?
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Rêve / reflets
Marche le long du canal, avec le soleil bas. La tête est un poing serré, l'eau comme une main ouverte.
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Le Voyageur
Dans Instants de Grèce, de Hofmannsthal (Poésie/Gallimard - trad. JC Schneider), surtout la deuxième partie (plus que l'extase mystique de la fin face aux visages rangés en demi-cercle des Korês du Musée de l'Acropole, « je suis un dieu puisque c'est par mon regard que ces figures sont éternelles »).
Entre Delphes et Thèbes, les voyageurs croisent un vagabond, nus pieds dans ce pays où même le plus humble chausse des semelles de bois, tête nue sous le soleil implacable. Il dit son nom : Franz Hofer, de Lauffen sur la Salzach - en route pour Trieste, rentrant chez lui. Manifestement c'est un fou. Il est malade, il va à la mort. Mais les voyageurs ne parviendront pas malgré tous leurs efforts à lui faire rebrousser chemin. Ils offrent de payer son passage sur un bateau au départ d'Athènes, pour peu qu'il les accompagne jusque là. Non : il est celui qui ne revient pas sur ses pas.
Après avoir quitté le vagabond, le confiant à un guide, les voyageurs arrivent au point d'eau où l'homme s'était arrêté avant eux. H. s'agenouille pour boire et un sentiment s'empare de lui : sentiment de solitude, identification au vagabond en tant qu'étranger, confronté aux regards de tous ces visages étrangers. C'était là qu'il s'était agenouillé, lui aussi, quelques heures plus tôt, ce naufragé : une vie humaine qui errait, nue ; et alentour le monde entier épiait, comme un seul ennemi. Un souvenir d'enfance : d'avoir été un garçon devant qui défile la troupe, d'avoir vu la multitude des visages, chacun unique et inoubliable dans son individualité. Une question lancinante : qui suis-je ? Puis le trouble passe : je me redressai et ce geste ne fut rien d'autre que se relever après qu'on a bu à longs traits en trempant ses lèvres dans une eau courante.
(Pour ajouter à la paraphrase : suivre l'imbrication des images. Le double comme le reflet dans un miroir - celui qu'on ne peut voir que de face. La surface de l'eau comme un miroir. Le défilement des visages comme l'écoulement de l'eau).