Lorsque Charles IV, roi de Bohême, s'employa à faire rayonner à nouveau la puissance impériale dont il était investi, il construisit Karlstein. Une chambre aux reliques, incrustée d'or et et de pierres brillantes, tapissée de visages saints, couronne le château de rêves. Ce réceptacle de la Sainte Croix est l'aboutissement mystique des vertus chevaleresques et guerrières qui se déploient dans les basses cours. Au terme d'une ascension vers le ciel, la chapelle dispose un lieu secret, clos, baigné de l'influx des corps des corps saints, et que les remparts successifs protègent contre toute atteinte, pour les rencontres intimes entre l'empereur et le Dieu crucifié dont il se sait le vicaire sur la terre.
Duby, Le Temps des cathédrales.
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Un château en Bohême
Le château de Karlstein, construit par l'empereur Charles IV comme la pétrification d'un rêve, s'ouvre sur les forêts de Bohême. On y pénètre par des cours disposées pour les joutes et pour le rassemblement des meutes. Mais le chemin mène par degrés, selon des voies qui traduisent fidèlement les progrès de l'illumination mystique, jusqu'à la Sainte-Chapelle préparée pour l'empereur seul et pour ses tête-à-tête avec les reliques du Golgotha.
Duby, Le Temps des cathédrales.
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Une anthologie
Me rendormant, je songe qu’il faudrait, à partir d’exemples choisis dans les beaux-arts et la littérature, établir une Anthologie du sommeil facile ; mais je ne peux y réfléchir bien longtemps car la pente est rapide, l’ensevelissement ne me laisse que le temps de remémorer deux sujets de peinture et douter qu’ils remplissent les conditions (quelles sont-elles ?) : l’un, Pierre, Jacques et Jean enveloppés de leurs manteaux et dont les corps paraissent allongés selon le creux d’une barque encalminée dans l’ombre ; et l’autre, les soldats rustauds et sourds au pied du tombeau, que l’assoupissement a culbutés par terre au milieu de leur armes.
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Erwartung
Concert, salle Pleyel.
("Ce conte s'adresse à l'Intelligence du lecteur qui met les choses en scène, elle-même." [Mallarmé, Igitur]. "(...) on dirait que de temps en temps, dans l'histoire de l'Humanité, une idée est introduite, un thème peu à peu essaye de se constituer, qui au cours des années et des siècles recrute de tous les côtés des hommes ou les instruments l'un après l'autre capables de lui donner sa pleine sonorité et d'épuiser son expression. Un de ces thèmes a apparu avec Hamlet (et l'on découvrirait peut-être la première vague exhalation dans le grand Euripide), qui devait attendre deux siècles avant de trouver une atmosphère propre à son développement. Je l'appelerai la sympathie avec la Nuit, la complaisance au malheur, l'amère communion entre les ténèbres et cette infortune d'être un homme. (...) la grande nuit métaphysique, qui est non pas le néant mais le silence de la lumière (...) [Claudel, la Catastrophe d'Igitur]).
(Je me demande si la pièce ne procède pas du duo d'Amour nocturne ; après Tristan et Isolde, il devait sembler impossible à refaire ; il n'est donc resté que la femme, comme après la chose, paraît-il, chez les mantes religieuses, quand la femelle a dévoré le mâle.)
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Gastronomies comparées
A l'hôtel Victoria de Lowestoft (Suffolk, Angleterre), en août 1992, selon Sebald :
Plus tard, dans la grande salle de restaurant où j'étais, ce soir-là, le seul convive, c'est la même personne effarée qui devait prendre ma commande et m'apporter peu après un poisson, sans nul doute enfoui depuis des années dans le congélateur et dont la carapace panée, partiellement carbonisée par le grill, était si coriace que je me trouvai bientôt avec une fourchette aux dents tordues. J'eus effectivement tant de mal à pénétrer à l'intérieur de l'objet, somme toute uniquement constitué de son enveloppe dure, comme cela m'apparut en fin de compte, que mon assiette, après cette opération, offrait un spectacle effroyable. La sauce tartare, que j'avais dû exprimer d'un sachet de plastique, avait pris une teinte grisâtre en se mélangeant à la chapelure noircie, et le poisson proprement dit, ou ce qui devait le représenter, reposait à moitié disloqué sous les petits pois anglais vert pré et les vestiges des chips luisant de graisse.
(Sebald, les Anneaux de Saturne, trad. B Kreiss)
Au temps (et dans le pays) de Pétrarque, selon Cingria :
Les macaronis étaient inconnus à cette époque en Italie. Sans détriment essentiel. L'on y mangeait, comme maintenant, d'exquises choses agrestes et fines : de savoureux poissons bouillis saturés d'huile fruitée ; des herbes tendres, des choux, des fèves ; des petits poulets au goût fort et aux peaux bien grillées ; des petits porcs bien tournés, tenus longtemps au four ; de la vache séchée au vent, de la chèvre séchée au vent (vent marin) ; de la fine chair d'agneau aromatisée et grillée dans les pierres selon l'art jamais perdu des sacrificateurs. Car il y a encore cette poésie. D'autres cuisines plus expertes la méconnaissent.
(Cingria, Pétrarque)