Deux oeuvres fascinantes au musée des Eremitani de Padoue : l'Arbre de Cérès abattu par Erysichthon et la Naissance d'Adonis. Les couleurs intenses semblent imprégner les formes aux contours assez libres pour les doter d'une vie plus profonde, grosse d'accords secrets, en harmonie avec les symboles et l'atmosphère étrange des mythes.
Ces deux panneaux de cassone, inspirés par les Métamorphoses d’Ovide, sont attribués au jeune Titien. Ils illustrent, pour l’un, le mythe d’Erysichthon (livre VIII) et, pour l’autre, celui de Myrrha (X). L’inspiration est peut-être indirecte et les divergences de détail avec le texte pourrait s’expliquer par l’emploi, comme modèle, d’illustrations existantes (Voir ces deux gravures vénitiennes contemporaines, de Rusconi (1) et (2) : elles feraient de bons candidats au rôle de maillon intermédiaire entre le poème et les panneaux. La nourrice consolant Myrrha devient un couple amoureux enlacé, qu'on imagine mal être Myrrha et son père. Une dormeuse se substitue à Erysichthon plongé dans le sommeil et que la Faim va saisir.)
1/ Erysichthon, roi de Thessalie, s’attaque à un arbre sacré ; il a tranché la tête d’un serviteur qui a voulu s’y opposer (le corps décapité gît au sol) ; le sang qui jaillit de l'entaille sous la hache ne l’arrête pas ni la voix sortie de l’arbre qui implore et menace (la tête de la dryade est visible en haut du tronc). La punition ne se fait pas attendre et Cérès envoie la Faim châtier Erysichthon (c’est la vieille femme qui approche à gauche). Une avidité insatiable possédera désormais le roi et, après avoir mangé tous ses biens (tel l'incendie qui ravage le hameau à l'horizon), après avoir vendu sa propre fille, il finira par se dévorer lui-même.
2/ Adonis naît de Myrrha changée en arbre. Myrrha brûlait d’une passion incestueuse pour son père, le roi Cyniras. Horrifiée par le sacrilège, elle a voulu mourir mais sa nourrice l’en a dissuadée puis conduite, en dissimulant son identité, jusqu’à la couche du roi. Finalement découverte, Myrrha s’est enfuie mais elle portait en elle le fruit de l’union interdite. A l’approche de la délivrance, elle a imploré les dieux qui l’ont métamorphosée en l’arbre qui porte son nom. Les habitants des campagnes (sont-ce les naïades d'Ovide ?) se réjouissent et favorisent l'enfantement.
Les deux panneaux se répondent et s’opposent : portée par l'arbre, il y a d’un côté une naissance et, de l’autre, une mort ; ici une atmosphère d’idylle (le couple d'amants, les fleurs, les animaux, les heureux assistants) et là un drame (l’incendie, le sang, la silhouette horrible de la Faim, les soldats). Deux figures féminines, solitaires, restent assez mytérieuses : ce pourrait être les deux déesses nommées par le mythe, Cérès et Vénus (Cérès qu'Erysichthon a offensée ; et Vénus qui aimera Adonis et, en le voyant mourir, sera punie, nous dit Ovide, pour la passion funeste qu’elle a inspiré à sa mère ; dans cette dernière interprétation, le nouveau-né est l'égal de la Faim). Ou bien ce sont deux mortelles : Mnestra, fille d’Erysichthon, et Myrrha avant sa métamorphose. La première, je trouve qu'elle ressemble à la Laure de Giorgione, à tout le moins elle semble porter le même manteau. La seconde tresse une couronne de fleurs virginale, telle Eurydice.