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  • L'appartement

    Nous sommes venus ici aujourd’hui non pour participer aux jeux qui s’y arrangent mais, poussés par une curiosité déjà ancienne, pour voir. C’est à Paris, un appartement. Il est à peu près vide ; les murs sont blancs, le plancher est nu. Les portes manquent dans les embrasures. Les pièces en façade donnent sur le boulevard mais les fenêtres aveuglées empêchent de voir dehors.  Le jour qui filtre par les volets ou de faibles ampoules électriques font la pénombre. Dans la première pièce, chaque élément du mobilier, identique, est aligné le long du mur, perpendiculairement au précédent, alternativement en long ou en travers, formant une espèce de râteau à trois ou quatre dents. Les meubles, couverts de nappes de papier blanc, servent d’étal où sont empilés des livres ; en-dessous, d’autres volumes, semblables, sont rangés sur des étagères. Les visiteurs qui sont là ne disent mot : en manteaux, debout contre les tables, tête baissée, ils feuillettent. Je n’ai pas retenu les titres ; ce sont de petit formats illustrés en noir et blanc, des livres anciens pour la jeunesse.

    La deuxième pièce, à droite, est vide à l’exception d’un grand tableau au mur, une œuvre d’Henri Martin. Elle représente un coin de campagne avec des arbres et des prairies. Mais la touche divisée brouille les contours ; l’impression qui domine est celle d’une trame incertaine verte et jaune. Je reste peu de temps à la regarder ; je me retourne vers la troisième pièce. Par l’ouverture de la porte, on reconnaît le cœur des opérations ; on en devine les participants : "Ils s’agitent çà et là, se lèvent et se baissent. / Ils sèment et consacrent." Passons, Passons !

    De l’autre côté s’ouvre un couloir. Il mène aux anciennes dépendances : il y a quelques dizaines d’années, le parc a été loti. Des immeubles ont été construits selon la médiocre architecture de ces années-là. Chaque tour forme un cube presque parfait, d’une dizaine d’étages, isolé dans une pelouse. Des terrasses courent le long des façades ; elles servent de débarras et leur aspect négligé renforce le sentiment général d’abandon.

  • Un bal masqué

    A l'opéra Bastille.

    Le gouverneur Riccardo est menacé par un complot ; il est par ailleurs amoureux d'Amelia, épouse de son conseiller et ami Renato. Je n'ai pas vraiment compris quelle utilité pouvait avoir la conspiration dans le livret. Les intrigues privées s'avèrent bien plus efficaces pour éliminer Riccardo (l'Histoire ici n'est que le faux nez de règlements de compte personnels). Renato finit par tuer Riccardo parce qu'il le soupçonne d'avoir couché avec sa femme. Il fait tout de même appel aux conspirateurs ; pourquoi ? (ceux-ci, toujours en embuscade prudente au fond de la scène, trouvent leur principal emploi en chantant pour Renato, à la fin du deuxième acte, cocu ! cocu !)

    La scène de voyance et de sorcellerie, au premier acte, paraîtrait également bien superflue si elle ne permettait à Riccardo de faire le malin alors qu'on lui prédit la mort : un petit air guilleret au sein d'un choeur d'effroi.

    Riccardo, Renato, Amelia (ténor, baryton, soprano) : l'action se joue donc entre ces trois personnages, ponctuée d'ensembles tonitruants, de roulements de timbale et de sonneries de trombone. Dans un beau duo d'amour, la soprano résiste au ténor avant de s'affaler selon la grande effusion des violoncelles (elle avoue qu'elle aime mais elle ne cède pas). Le baryton se désespère dans un terrible monologue que vient éclairer le souvenir des instants heureux. Enfin le ténor meurt alternant des pardons emphatiques et des visions célestes (où les violons figurent sans doute la lumière divine).

  • Le monde d'Apu

    Au cinéma, le monde d’Apu de Satyajit Ray.

    Dans les premières images, Apu prend congé de son professeur. Les deux vantaux de la porte s’ouvrent sur la lumière dehors éblouissante et une foule qui défile en criant.

    Apu sort dans le monde. Son début dans la vie va se jouer entre deux maisons : celle qu’il habite en ville, pauvre et moderne, et une autre à la campagne, belle et ancienne.
    - Chez Apu : c’est un piteux immeuble de Calcutta, au bord des voies de chemin de fer ; une seule pièce ouverte sur une terrasse et le sifflement des trains, en haut d’une cage d’escalier en béton nu ; il n’y a pas de vitres aux fenêtres ; pour les fermer, un linge troué ou des volets de bois (qu’Apu repousse sans se montrer, du bout des doigts, pour se cacher du voisin qui regarde)
    - Dans la famille de son ami : c’est loin à la campagne une riche demeure au-dessus du fleuve où passent des voiles silencieuses. Dans la grande maison, il y a de belles lampes et un superbe lit à colonnes en bois noir. La terrasse est couverte d’un portique ; la cour devant est fermée par une balustrade avec des piliers que surmonte chacun un boulet de pierre fiché sur une pointe.

    Apu est en visite dans cette seconde maison, chez son ami dont la sœur se marie. Ce jour-là, le futur arrive, en procession, dans une chaise à porteur : la caisse est posée à terre devant le seuil ; l’homme refuse d’en sortir, il reste prostré, il roule des yeux, arrache des morceaux de la coiffe nuptiale qu’il a dans les mains : de l’autre côté, par l’ouverture, le père, le beau-père, d’autres hommes viennent l’inviter à venir puis à la fin le tirent de force. Le jeune homme est fou ! la noce ne peut avoir lieu. Mais si le mariage n’a pas lieu à l’heure dite, la femme est maudite. Apu accepte de prendre la place.

    "Parti à un mariage, il revient avec la mariée". A Calcutta, les deux époux l’un derrière l’autre montent l’escalier sordide, presque en cachette. Elle marche derrière lui, silencieuse, les yeux baissés, toujours habillée depuis la noce comme une princesse. Dans la chambre, elle observe le triste paysage à travers le trou du rideau (que, vu de l’extérieur, son œil si beau vient fermer). A deux, la pauvre habitation devient un décor d’idylle.