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  • Le grand télescope de Lord Rosse

    8276722cff1c9fca29eca3b7ede98546.jpgDans le parc du château de Birr, dans le centre de l’Irlande, une vision sortie d’un livre de Jules Verne ou, plus exactement, de l’Astronomie populaire (p185, figure 77) de Camille Flammarion : le grand télescope de Lord Rosse. Il a été, pendant toute la seconde moitié du dix-neuvième siècle, le plus grand télescope du monde. Le ciel nocturne d’Irlande n’est pas le plus favorable à l’observation des étoiles mais c’était ici le domaine du troisième comte de Rosse (qui, aidé par la fortune de sa femme, a pu s'y consacrer à son amour de la science). Le tube géant, actionné par des roues et des poulies, se meut entre deux parois percées d’ogives néo-gothiques. Des échelles de meunier et une passerelle mobile en bois permettent de rejoindre l’œilleton latéral. L’instrument ne dispose pas du mécanisme qui aurait permis d’y ajuster un appareil photographique. Le résultat des observations a donc été transcrit à la main par l’astronome. On peut voir dans le musée ses dessins de nébuleuses spirales dont la forme a été constatée ici pour la première fois. Un curieux monument de haies et de pelouse commémore la découverte, traçant une spirale au milieu du jardin (manière sans doute de célébrer ensemble les accomplissements des propriétaires dans les domaines de l’astronomie et l’horticulture).

  • Bogland

    Pays de tourbières (ou tourbières qui sont le pays) : selon le poème de Heaney, leur eau serait, par résurgence, celle de l'Atlantique où l'île est plongée ; dans leurs entrailles, comme un cellier, on aurait trouvé, cent ans après, du beurre, encore salé et blanc.

    (Mais d'autres matières s'y conservent, moins engageantes. Au milieu d'une salle du Musée national, à Dublin, parmi les présentoirs, se dressent de singuliers édicules. Leur cloison dessine une spirale ouverte par le côté et sur le dessus mais d'un enroulement et d'une hauteur tels que le centre reste invisible. On peut donc les contourner sans rien voir ou choisir d'y entrer. Il y a à l'intérieur une seule vitrine qui contient un unique morceau de vêtement, étiré et déformé, trouvé dans la tourbe.  Le cuir clair, huileux, d'un seul tenant, a été partiellement déchiqueté (quelquefois par la machine excavatrice qui l'a tiré accidentellement de sa gangue ) et s'effrange. Il constitue une combinaison épaisse et rembourrée (quoique raplatie par l'énorme et lente pression passée) qui couvre toute la forme d'un être humain : depuis le sommet du crâne, avec les orbites et les gencives, jusqu'aux phalanges et au détail des ongles jaunes. On a compris que ce n'est pas un habit qu'on a sous les yeux mais la peau elle-même et, dans le sac qu'elle forme, un corps. Tombé, jeté ou enterré dans la tourbe, il en a été tiré, bizarrement intact et transformé, pour être exposé là.)

  • Thoor Ballylee

    ab9660f70d716cf1c9ee0f21e3443b50.jpg

    (La tour ne commande pas à un vaste territoire. Elle se dresse dans un pays de bocage et de médiocres collines, dans un creux limité par les arbres, au bord d’une rivière étale. C’est un retranchement, pas un poste avancé ou l’affût d’un guetteur. Son utilité passée ne renvoie pas à une guerre publique, à des combats d’armées régulières ; plutôt les attaques d’une guérilla et les violences de voisinage. Le cottage à son pied a été réaménagé pour abriter la réception et la boutique de souvenirs (où, comme presque partout en Irlande, bimbeloteries et littérature se côtoient sur les présentoirs). La tour, avec ses quelques grandes salles nues, est telle qu’elle a été arrangée et habitée par Yeats. Leur image fait partie de ses poèmes (des extraits sont placardés au mur ou résonnent dans les hauts-parleurs ; combustibles et soufflet pour un feu qui ne peut pas prendre). Le temps est à la pluie. Règne un parfum humide de maison désertée. L’escalier étroit s’élève en tournant dans la pierre, jusqu’à l’air libre. Il est éclairé par des meurtrières avec, dans les ouvertures, des restes de nids décomposés, des plumes mouillées.)

  • Fuchsia bushes, dry canal

    Il fait nuit. La voiture roule sur une chemin de campagne. Il n’y a qu’une voie ; les herbes, des fleurs, les feuillages pleins d’eau glissent le long des portières à droite et à gauche. Des branches couvrent le ciel. C’est un départ mais je ne sais pas ce que l’on quitte, ni pour quoi ; dans ce passage, entre les haies éteintes, je ne vois pas plus loin que ceci : qu’on allume les phares.
    Un canal sans eau. Le fond s’abaisse selon un chaos de blocs taillés dans le marbre brun et rose ; un escalier aux marches inégales et très hautes, comme la cascade d’une fontaine asséchée. Des ronces poussent dans le sable. Les mûres qu’elles donnent, malgré leur taille et la couleur, sont insipides.

  • Dun Aonghasa

    L’île est tout en longueur. Elle a la forme d’un plateau incliné qui s’abaisse en face de la grande terre. C’est là qu’on aborde. Il y a quelques milliers d’années, un fort  a été construit dans le haut de l’île. Les murailles ne sont pas très différentes (un peu plus hautes, un peu plus solides) des enclos de pierre qui entourent les champs ailleurs dans le pays. Elles forment des  lignes concentriques mais aucun des cercles n’est complet : la fermeture de l’enceinte est faite par le vide. Chaque mur successif embrasse le sommet de la falaise et le précipice qui surplombe la mer. La place centrale, libre et arasée, est ouverte sur l’océan comme la plate-forme d’une tour. On franchit facilement les différentes portes, on entre dans le cœur des fortifications, puis, avant de rebrousser chemin, on approche prudemment du bord pour considérer le dernier seuil (à revers) qu’aucun garde-fou ne barre.

  • La chambre de Hopkins

    I wake and feel the fell of dark, not day.
    What hours, O what black hours we have spent
    This night! what sights you, heart, saw; ways you went!
    And more must, in yet longer light’s delay.

    With witness I speak this. But where I say
    Hours I mean years, mean life. And my lament
    Is cries countless, cries like dead letters sent
    To dearest him that lives alas! away.

    I am gall, I am heartburn. God’s most deep decree
    Bitter would have me taste: my taste was me;
    Bones built in me, flesh filled, blood brimmed the curse.

    Selfyeast of spirit a dull dough sours. I see
    The lost are like this, and their scourge to be
    As I am mine, their sweating selves; but worse.

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    (Sur la foi de trois lignes lues dans un guide, on entre sans presque rien en savoir dans ces maisons, qui se visitent. Selon le prospectus, elles témoignent de la relative splendeur que la ville a connue au dix-huitième siècle. Il y a là de beaux décors de stucs mis en place par des Italiens et par les artistes locaux qui ont pris leur suite : des guirlandes, des oiseaux, les muses. Les salles ont été méticuleusement restaurées ; les transformations quelquefois importantes faites depuis leur création y ont été dans la mesure du possible renversées. Dans certains cas, un fragment de moulure, un échantillon de peinture, conservés derrière une plinthe ou une nouvelle tapisserie ont permis de reconstituer l'aspect originel.  D’autres fois de raisonnables hypothèses pallient l’absence de traces et de documents. Quand l’état le plus ancien ne pouvait plus être rendu, il a été choisi pour certaines pièces de restituer un aménagement ultérieur, du dix-neuvième.  C’est de cette époque-là que datent cette porte dérobée et les quelques marches qui font communiquer entre elles les deux maisons. On apprend alors, en changeant de bâtiment, que les lieux ont vu la création l’Université catholique d’Irlande (à qui elles appartiennent toujours), qu’elles ont servi pour l’enseignement. (Combien l’exiguïté de ces demeures privées se démarque de la grandeur publique des édifices de Trinity College !) Le guide nous fait quitter l’étage noble et monter un escalier de service, en colimaçon. Il nous montre une ancienne salle de classe : la peinture brune, les files de pupitres rangées devant une estrade ; les voilà recréées "telles que Joyce a pu les connaître". De l’autre côté du couloir, on entre dans une pauvre chambre. Le seul luxe est la grande fenêtre qui donne sur le jardin. "Il y a une photographie connue de Joyce prise, là-bas, sous cet arbre jaune." Mais c’est ici la chambre de Gerard Manley Hopkins. Elle a été rétablie, semble-t-il, avec la même exactitude que les pièces d’apparat ; la richesse de la restauration contraste avec l’indigence des matières et du mobilier : le papier peint "le plus ordinaire", la petite table, la soutane pendue au mur, le pot de chambre sous le chevet, le lit de fer.  Le guide (chétif, pâli, l’air d’en savoir plus long qu’il n’en dit) nous assure s’y être allongé ; c’est assez inconfortable.)