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  • Lohengrin

    A l'Opéra Bastille.

    Le premier acte est encombré par beaucoup de musique en carton-pâte, choeurs pompeux et accessoires procéduriers du Jugement. Même l'apparition de l'Elsa somnambule manque de charme, la mièvrerie gâche sa prière ; car le personnage que compose l'interprète est totalement dépourvu de séduction. Cela ne l'empêche pas d'être une figure crédible où l'entêtement et l'égoïsme forment comme l'envers des bons sentiments et de l'exaltation religieuse. Ils justifient l'échec de l'union avec l'idéal Lohengrin : ces deux individus en dehors de la société et que les hommes consentent à unir ne s'accordent pas (Lohengrin est seul à chanter le duo d'amour du troisième acte) ; l'illusion s'effondre alors tranchée par la phrase terrible de Lohengrin  :
             Weh' nun ist all' unser Glück dahin !

    Le deuxième acte est superbe de bout en bout grâce d'abord à Ortrud et à la scène initiale : voici la partie redoutable de la nuit et qui pour les yeux de l'homme n'est point faite. Avant l'aube, avec Telramund,  Ortrud reprend les fils de l'intrigue et rouvre le combat qui semblaient clos à la fin de l'acte précédent. Elle introduit la malignité et la duplicité dans le drame, y faisant entendre leur très séduisante musique. Le retour du soleil n'efface pas ses sortilèges. Ils couvent d'abord invisibles mais on ne les oublie pas (pendant l'interminable procession nuptiale d'Elsa, je ne vois que l'humiliation d'Ortrud dans le cortège qui donne l'arrière-plan de noirceur à toute cette lumière). Enfin l'accusation éclate, le choeur est pris à partie dans une grande scène comme au deuxième acte du Crépuscule des dieux. Si l'accord et la paix se rétablissent ensuite, ils ne sont qu'apparence, définitivement minés par la défiance.

  • Balaoo

    A la Cinémathèque, Balaoo d'après Gaston Leroux.

    Balaoo est un singe fait homme, contemporain de l’auteur du Rapport pour une académie. La science de son maître, le Professeur Coriolis, lui a donné apparence presque humaine sans lui enlever ses talents de grimpeur et ses instincts de bête sauvage. Balaoo aime à monter dans les arbres dont il se laisse tomber pour surprendre ses victimes, ralentissant sa chute en embrassant les branches qui plient sous son poids. Après un séjour sur les bords du lac de Lugano, Balaoo commet un meurtre pour le compte du braconnier Hubert. C’est la scène la plus marquante du film : le voyageur de commerce dort sur le billard de l’auberge ; Balaoo s’est suspendu par les pieds au plafond, ses deux mains descendent lentement pour étrangler le dormeur ; au fond, l’ouverture du passe-plat laisse voir, comme un commentaire, le visage de la tenancière qui longuement bée d’horreur et roule des yeux avant de s’évanouir

  • Après la chute

    Exposition Sternenfall, d'Anselm Kiefer.

    Les poutres de fer rappellent une végétation luxuriante (une salade montée en graine ?) ; les lames de verre du dôme s'emboîtent parfaitement jusqu'au sommet de la voûte où la hampe et le drapeau, vus de dessous, semblent tenir sans appui. Cependant, dans la naïve opulence du Grand Palais, proprement disposé sous la cloche, le paysage spectaculaire de la désolation et de l'humilité :
    Des murs de tôle, des plantes séchées trempées dans la boue, des éclats de vitres brisées, des livres épars dont les pages, la reliure, les couvertures sont des feuilles de plomb, des tours formées par l'assemblage de cubes de béton armé (certaines debout, d'autres abattues, comme les colonnes de temples ruinés).

  • Cornes de cuivre

    Dans une vaste halle, nous visitons le Grand Salon de l'Habitat ; on nous présente un modèle inédit de logement préfabriqué. C'est un haut cylindre debout, de section ovale, assemblé de plusieurs plaques de laiton. De larges baies sont ouvertes dans le tube. Les découpures engendrent tout un jeu de courbes dans l'espace, admirablement dessinées. On voit à l'intérieur le vide où doit venir s'imbriquer l'escalier ; la cage ouvre un puits circulaire tangent à la paroi intérieure, taillant dans les planchers des formes de croissant. Le colimaçon y passera entre les cloisons de bois faites de lambris verticaux qu'on nous montre plus loin, déjà montées. Le rez-de-chaussée est invisible. La chambre occupe le premier étage. La hauteur du plafond ne permet d'y entrer autrement que plié en deux. En revanche la plate-forme supérieure n'est pas couverte (et il est prévu d'y ajouter plus tard un chapeau d'une grandeur suffisante).

  • Hortensia

    Au cinéma. The shooting, de Monte Hellman.

    Dans l'Ouest américain, les frères Gashade et Coin exploitent une mine avec deux compagnons. Un matin en rentrant d'une absence de quelques jours, Gashade trouve le site bouleversé : Coin a fui, leur associé a été abattu par une tireur invisible ; le troisième, un jeune homme un peu simple, se cache, terrifié par les coups de feu. L'attaque est sans doute motivée par la vengeance : on apprend que, peu auparavant, Coin a provoqué la mort accidentelle, en ville, de deux personnes, dont un enfant.

    Alors un femme paraît ; elle a perdu son cheval ; elle engage les deux hommes pour l'escorter jusqu'à sa destination. On devine et on découvre peu à peu qu'elle est à la poursuite de Coin. (Cette histoire conserve une part d'énigme ; elle est racontée et exécutée sans grands discours d'explication et sans luxe de motivations ; les personnages s'engagent dans une aventure où la mort, ils le savent, est presque certaine ;  tout cela me fait penser aux récits de Borges. L'attribut mythique n'est pas absent : la femme, namenlos, refuse de dire son nom.)

    (La femme joue avec le jeune homme qui s'est entiché d'elle. Il quémande un nom. Elle répond, aimable : - Quel est le nom que vous aimez le mieux ? - Je me rappelle le nom que mon père donnait à ma mère ; moi, je l'appelais maman, mais lui disait Hortensia... - Hortensia ? ne m'appelez jamais ainsi.)

  • Zuidam, Berg, Reger

    A la Cité de la musique

    La première œuvre au programme a quelque chose de familier ou de banal ; ça pourrait être le mouvement lent d'une symphonie, avec les épisodes standard, à cette différence près que le tout est plongé dans la mélasse. Avec de grands effort grippés, les lignes se rassemblent, le crescendo est mené à son point culminant, un coup de cymbales retentit au sommet, le calme se fait à nouveau dans les profondeurs. (Mais il s'agit d'une mélasse absolument transparente, qui ne nuit pas à la clarté des timbres et à la précision du grand orchestre massé sur la scène).

    Passée cette ouverture, une chanteuse se faufile difficilement au premier rang, ne lâchant pas sa partition. Les trois pièces extraites de Wozzeck commencent avec beaucoup de douceur. Une grosse marche militaire vient déranger le crépuscule. On n’entend guère Marie dans ce vacarme (elle est pourtant censée chanter à tue-tête) ; on l’entend à peine davantage quand elle ferme d’un coup la fenêtre qui donne sur la rue où passe la parade et qu’elle  fredonne sa berceuse. Faute des paroles du drame, il reste la musique. (Mais sa beauté et son raffinement n’ôte pas complètement l’impression de confinement ; l’effectif et les moyens d’une symphonie de Mahler ont été enfermés dans de courtes scènes étroitement cloisonnées).

    Après l’entracte, on passe au deuxième opéra de Berg (celui que je préfère) avec la cantate der Wein qui prépare la couleur et les thèmes de Lulu (la sonorité du saxophone, l’imbrication d’une musique froide ou prosaïque et d’un lyrisme soudain, terrassé par les coups de butoir.) Le concert se conclut par quatre pièces orchestrales de Reger inspirées de tableaux de Böcklin qui, après cela, sonnent absolument creux (sauf le charme qu’il peut y avoir à se souvenir d’un film de Civeyrac, qui utilisait la première de ces pièces.)