Relu Honorine. La nouvelle de Balzac comprend deux récits enchâssés. Le premier est fait par le consul de France à Gênes à des visiteurs parisiens. Un soir dans un palais de la ville, Maurice de l’Hostal, "portrait vivant de Lord Byron", confesse à ses hôtes son secret. Dans son histoire, une autre confidence est incluse : celle que le consul reçut du comte Octave alors qu’il était son secrétaire particulier à Paris, rue Payenne.
Au cœur de ces deux aveux concentriques, il y a une femme : Honorine, l’épouse adultère du comte. Celui-ci raconte : sept ans plus tôt, Honorine l’a fui pour un autre homme. Quelques mois après, elle est à son tour abandonnée ; elle donne naissance à un enfant, qui meurt bientôt. Aujourd’hui elle vit incognito, modestement, de la vente de fleurs artificielles qu’elle confectionne d’après les modèles cueillis dans son jardin.
Mais son indépendance est aussi belle et fausse que ses fleurs. Honorine ignore que sa maison, ses gens, son travail sont secrètement payés par le comte, qui l’aime toujours.
Depuis cinq ans, je la tiens, rue Saint-Maur, dans un charmant pavillon où elle fabrique des fleurs et des modes. Elle croit vendre les produits de son élégant travail à un marchand, qui les lui paie assez cher pour que la journée lui vaille vingt francs, et n’a pas eu depuis six ans un seul soupçon. Elle paye toutes les choses de la vie à peu près le tiers de ce qu’elles valent, en sorte qu’avec six mille francs par an, elle vit comme si elle avait quinze mille francs. Elle a le goût des fleurs, et donne cent écus à un jardinier qui me coûte à moi douze cents francs de gages, et qui me présente des mémoires de deux mille francs tous les trois mois.
Le comte est toujours auprès d’Honorine comme une providence invisible (ou un auteur de romans), mais il ne peut s’en faire reconnaître. Elle le fuit avec obstination, elle refuse toute communication avec lui. Il m’est donc impossible de pénétrer dans ce cœur : la citadelle est à moi, mais je n’y puis entrer.
Le comte essaie une nouvelle ruse. Maurice fera connaissance avec la belle Honorine ; il gagnera sa confiance et jouera, pour finir, les intermédiaires entre les deux époux. Le plan est couronné de succès. Maurice s’installe rue Saint-Maur et, feignant un désespoir amoureux qui le rend indifférent à toutes les femmes, conquiert peu à peu l’amitié d’Honorine. Après quelques péripéties, la jeune femme accepte de retrouver son mari ; Maurice voit ses efforts couronnés par un poste de diplomate et un riche mariage en Italie.
Mais il semble qu’il y a comme une malédiction du mensonge : Honorine donne maintenant à son mari tous les signes de l’amour conjugal mais la réalité manque. Sa liberté était fausse, son retour est une duperie. (Ses) joies sont aussi vraies que les larmes répandues au théâtre par une actrice. Elle ne peut oublier l’ancien amour ; elle souffre de l’infirmité du souvenir ! Elle en meurt. L’aventure a fait une autre victime : Maurice, qui feignait le désespoir, est maintenant véritablement désespéré. L’artifice est devenu vérité. En fréquentant Honorine rue Saint-Maur, Maurice est tombé amoureux d’elle. Sa carrière en Italie est un exil. Son mariage à Gênes avec une belle italienne reproduit, symétriquement, l’union désaccordée d’Octave et d’Honorine.
Deux énigmes trouvent leur solution : les secrets du comte et du consul sont maintenant connus. Mais le double dévoilement ne change pas la donne : l’amour n’est pas payé de retour ; le comte va mourir inapaisé ; le consul est malheureux. L’insatisfaction est le résultat de ces aveux en cascade : c’est à ses dépens que Maurice a été mis dans la confidence d’Octave ; on apprend également, dans les dernières pages, que la femme du consul a écouté aux portes le récit de son mari : elle connaît maintenant leur malheur. Apparence et vérité, énigme et dévoilement, mystification et aveu, les couples ne s’accordent pas et, propulsée par leur puissant balancier, la fiction peut se poursuivre.