Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Les ambassadeurs de Corcyre

    Les ambassadeurs de Corcyre demandent de l'aide aux Athéniens
    dans Thucydide et dans cette journée incertaine de mars,
    mais le signe est, ou peu s'en faut, un hiéroglyphe indéchiffrable :

    que disent en vérité les ambassadeurs de Corcyre,
    ont-ils vraiment demandé de l'aide, et dans quelle journée,
    en ce jour bousculé de mars ou sinon, quand ?

    Luca pense qu'ils ont demandé de l'aide pour des raisons improbables
    avec des discours impossibles. Le geste est là, empâté de paroles
    qui ne font pas un discours, et cela ne fait ni un geste, ni un texte.
    Ils retournèrent à Corcyre, arrachée la promesse d'aide,
    ou les ambassadeurs sont encore ici, parmi nous,
    masqués, ou à peine, et parlent, mal compris, demandant de l'aide
    pour le danger de mort imminent, ou Corcyre est ici, Corcyre est peut-être ce lieu-ci
    et les ambassadeurs cinglent sur la mer, sur une mer azur,
    et ne savent pas rentrer ou ne savent pas qu'ils rentrent,
    si Corcyre est où que ce soit et si personne appelle à l'aide,
    Athènes est au désert, dans un désert de paroles désolées
    d'où émergent des voiles qui se gonflent , en ce Pirée tacite

    des signes qui crient, qui crient adieu ou peut-être appellent à l'aide.

    (Piere Bigongiari, traduit par P Jaccottet in D'une lyre à cinq cordes.) 

     

  • Tannhaüser

    A l'Opéra Bastille.

    "Tannhaüser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le coeur humain pour principal champ de bataille, c'est-à-dire de la chair avec l'esprit, de l'enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu. Et cette dualité est représentée tout de suite, par l'ouverture, avec une incomparable habileté." (Baudelaire). C'est pourtant à cette partie de l'oeuvre qu'il est le plus difficile de croire : l'affrontement entre l'inoxydable chant des pèlerins et  (quel que soit le degré d'incandescence auquel la porte l'orchestre :) la triviale bacchanale. Disons que cela vaut comme une étape sur le chemin qui mène à l'accomplissement de Parsifal, de même que Vénus-Elisabeth préfigure Kundry et que l'extraordinaire récit de Rome du dernier acte (avec son espèce de ritournelle, marche et accablement) annonce les grands récits-confessions des héros à venir.

    Tannhaüser revient deux fois dans sa "patrie". La première fois, c'est dans le paysage presque idyllique d'un vert paradis : calme vallée où résonnent les cors, qu'il retrouve ses amis de jeunesse et le souvenir d'Elisabeth chanté par Wolfram ; puis la musique peint le décor pompeux de la grande salle du Wartburg. Ce premier retour s'achève dans un grandiose affrontement (avec choeurs) entre l'artiste et la petite société, qui finit par l'exclure.

    En revanche lorsque Tannhaüser revient une seconde fois, tout a changé de face. Le pays n'a plus ses fanfares, ses marches, ses couleurs franches : au début du troisième acte règne un long crépuscule avec la froide lumière de la prière d'Elisabeth et de la romance à l'étoile de Wolfram. (Wie Todesahnung Dämmrung deckt die Lande, / umhüllt das Tal mit schwärzlichem Gewande; / der Seele, die nach jenen Höhn verlangt, /vor ihrem Flug durch Nacht und Grausen bangt). Tannhaüser retrouve une contrée éteinte et peuplée de fantômes ; c'est en lui-même maintenant qu'il porte le conflit antérieur jusqu'à son dénouement.

    (La mise en scène fait de Tannhaüser un peintre : l'enlacement de Vénus et d'Elisabeth, la brune et la blonde, est peut-être un hommage au Sommeil de Courbet ? Mais sans doute faudrait-il rajouter au-dessous des surtitres un éclaircissement pas à pas du programme du metteur en scène ? Le mimodrame final laisse perplexe.)

  • Bach

    Concert à la salle Pleyel.

    Trois cantates de Bach dont "la 26" Ach wie flüchtig, ach wie nichtig: la plainte aussitôt lancée s'interrompt, fugitive "comme la vie de l'homme", happée par le même silence ; Wie sich die Tropfen plötzlich teilen la musique semblable à la goutte d'eau que la brève chute révèle et détruit.

  • Bassin de Latone

    Le gel commence à saisir l'eau du bassin. La glace encore peu épaisse est transparente ; le fond apparaît nettement dans l'eau froide : la tuyauterie des fontaines et les feuilles mortes noyées y rappellent les feuillages et les jets évanouis.
    (...souvenirs
    qui sont comme des feuilles sous (la) glace au trou profond
    )
    Des enfants (mais pas seulement) jettent du gravier dans la fontaine pour le plaisir, sans doute, de voir l'eau porter des pierres et entendent, sous les coups, le chant métallique de la glace tels des fils de fer qui vibrent.

     

  • Mahler

    Sixième symphonie, au Théâtre des Champs-Elysées.

    Pendant les trois premiers mouvements, je rongeais mon frein espérant beaucoup du finale (n’est-ce pas le plus prodigieux Mahler ?).  Puis elle finit par arriver, cette façon d’agonie, fureurs et effondrements, avec les fameux coups de marteau (deux avérés et le troisième manquant). Ensuite le silence se fit…  - eh quoi ! N’est-ce donc que cela ?… j’attendais encore.

  • Sierra de las calaveras

    La route suit la grande voie de la plaine entre les montagnes au loin : ça va très vite, il n’y a rien à voir ; tout est plat et nu. Seules, devant nous, deux chaînes perpendiculaires se détachent de l’horizon, se rejoignent et viennent barrer le pas. La route s’élève dans les collines en tournant. L’allure ralentit et s’intéresse aux cailloux épars sur la terre sèche, dans la pente des talus ou sous le poing des rochers. Ces pierres-là sont des ossements jaunis, courts et ronds. Têtes de mort qu’on voit sans horreur, curieuses formations géologiques.

  • Rome (5) - Incapacité

    Dans la Transfiguration de Raphaël, aux musées du Vatican, deux magnifiques figures d'apôtres. Ils se tiennent à l'extrême bord, à gauche de la scène inférieure ; ils se détournent, dans l'ombre, attristés par leur échec. Ils ont été incapables de guérir l'enfant malade qu'on leur a amené ; il ne voient pas la révélation qui a lieu sur la colline au-dessus d'eux. Ils baissent les yeux. Le plus jeune a ses deux mains ouvertes et levées, en signe d'impuissance. Seul l'arrête peut-être, sous son regard, le geste d'un de leur compagnon qui se redresse et dont le bras va se tendre vers la gloire ouverte dans le ciel.