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  • Rome (4) - Chateaubriand

    Fête à la villa Médicis

    J'avais donné des bals et des soirées à Londres et à Paris (...); mais je ne m'étais pas douté de ce que pouvaient être des fêtes à Rome : elles ont quelque chose de la poésie antique qui place la mort à côté des plaisirs.

    (...) Je vois passer devant moi ces femmes du printemps qui s'enfoncent parmi les fleurs, les concerts et les lustres de mes galeries successives : on dirait des cygnes qui nagent vers des climats radieux. A quel désennui vont-elles ? Les unes cherchent ce qu'elles ont déjà aimé, les autres ce qu'elles n'aiment pas encore. Au bout de la route, elles tomberont dans ces sépulcres toujours ouverts ici, dans ces anciens sarcophages qui servent de bassins à des fontaines suspendues à des portiques ; elles iront augmenter tant de poussières légères et charmantes. Ces flots de beautés, de diamants, de fleurs et de plumes roulent au son de la musique de Rossini qui se répète et s'affaiblit d'orchestre en orchestre.

  • L'Obscurité

    Ne nous réveillons-nous maintes fois de notre sommeil ? nous pensons nous réveiller, nous entendons tout, voyons tout et sommes cependant endormis au plus profond de nous-mêmes, emplis des poisons secrets et salutaires du sommeil, restons étendus un petit moment et notre pensée en apparence si éveillée fixe quelque profondeur de notre existence d'un terrible regard d'acier, d'un regard plein de tourments ? Rien ne tient tête à ce regard. Comment puis-je supporter cela (...) Comment se fait-il que je vive en supportant cela et ne mette pas fin à mes jours ? Car il n'y a pas de réponse supportable. Le jour va venir avec les cloches du matin et les voix des oiseaux, la lumière va devenir vivante mais cela ne changera pas. Cependant qu'on se rendorme une seule fois et cela s'en va (....). C'est le regard perçant d'un dormeur et personne, ni aujourd'hui ni ultérieurement ne lui devra une réponse. (Hofmannsthal, Le Poète et l'époque présente, trad. A Kohn)

    L'Obscurité, de Jaccottet. Le narrateur (de ce court récit) revient après des années dans la ville qui a été le lieu de son apprentissage. Il s'enquiert de son maître et s'étonne de ne trouver pas même le souvenir de la gloire qui était la sienne. Le maître a déserté aussi la retraite heureuse qu'il s'était choisie, à la montagne. Après bien des recherches, le narrateur finit par le retrouver, seul, installé dans un  taudis de la ville, malade semble-t-il. Pendant toute une nuit (qui rappelle le "terrible regard d'acier" décrit par Hofmannsthal), il l'entend nier tout ce qui avait été la substance de son enseignement ; au lieu de la beauté constater la douleur et le vide ; se livrer à la plainte et au ressentiment.

    Le décor de cette chambre est peut-être le plus marquant : le désespéré occupe un ancien atelier d'artiste au rez-de-chaussée d'une cour intérieure. Quant le soleil bas de l'hiver a passé furtivement là-haut comme "une torche rouge", les lampes s'allument et laissent voir, à travers le feuilletage du verre, de la poussière et du crépuscule, les vies absurdes et méchantes des voisins.

  • Rome (3) - Jardins

     Voici que dans l'idée qu'on se fait des villes de l'antiquité romaine (réseau de gravats et de ruines, sans eaux ni végétation, suite de chambres étriquées au décor rouge, noir et jaune), paraît un jardin36ec70b6cc0291018739f413fdd853a6.jpg.

    Dans la maçonnerie épaisse, selon l'étroitesse des pièces closes, sous des voûtes solides, sont peints la forme la plus labile, le plus mobile, le plus aérien des jeux, le libre vol des oiseaux, dans les feuilles, avec le vent ; et, sous la brique et le stuc secs et imputrescibles, l'image des fruits mûrs. d486aa3e450c8d146208675a22ea7bf4.jpg

     

    (Musée national romain, Palazzo massimo alle Terme, fresques de la villa de Livie à Prima Porta.)

  • Rome (2) - San Clemente

    Rinceaux d'acanthe : mosaïques de l'abside de San Clemente (XIIème) /bas-relief de l'Ara Pacis (Ier siècle)4bc59e0ba8542982cf6d756f86223a14.jpg0bdd8ce8dc85c23c5c6bdab1e427a8a8.jpg

     (San Clemente, emblème de Rome, où l'on peut descendre dans les fondations antiques de la Ville  : une église du XIIème est bâtie sur une basilique du bas empire, qui s'appuie elle-même sur des maisons plus anciennes où a été retrouvée, au plus profond, une chambre dédiée au culte de Mythra. Accumulation de siècles enfouis et superposés ; mais les étages morts revivent dans les niveaux supérieurs qu'ils supportent. )

  • Haydn

    La Création de Haydn, Salle Pleyel. 

    Je ne gardais par un très bon souvenir de représentations antérieures : c’était la « Création » dans une féerie au théâtre (on est loin de Bach et de Beethoven), une suite de miniatures rococo desséchées ou d’idylles Bidermeier béates, avec toiles peintes vertes et roses et l’apparition à la fin d’Adam et Eve en collants couleur chair.

    Mais pas ce soir où une ardeur donnait vie à tout cela : les animaux (le basson pour les roucoulements des colombes amoureuses, la flûte du rossignol, le trombone pour le lion, la contrebasse pour Léviathan), les éléments (la pure lumière de la première aube, de la première lune) ou le Verbe divin (Que la lumière soit ! Croissez et multipliez !). Les chœurs m’ont paru plus conventionnels mais tout sinon foisonnait de jeux et d’inventions jusque dans la vision de ce paradis merveilleux et familier où s’avancent Adam et Eve (Une allusion à la Chute, vite oubliée, obscurcit brièvement la scène avant leur entrée).

  • La terre n'est que du cron

    J'avais, plus près de Paris, une autre station fort de mon goût chez M. Mussard, mon compatriote, mon parent et mon ami, qui s'était fait à Passy une retraite charmante où j'ai coulé de bien paisibles moments. M. Mussard était un joaillier, homme de bon sens, qui, après avoir acquis dans son commerce une fortune honnête, et avoir marié sa fille unique à M. de Valmalette, fils d'un agent de change et maître d'hôtel du roi, prit le sage parti de quitter le négoce et les affaires, et de mettre un intervalle de repos et de jouissance entre le tracas de la vie et la mort. Le bonhomme Mussard, vrai philosophe de pratique, vivait sans souci, dans une maison très agréable qu'il s'était bâtie, et dans un très joli jardin qu'il avait planté de ses mains. En fouillant à fond de cuve les terrasses de ce jardin, il trouva des coquillages fossiles, et il en trouva en si grande quantité, que son imagination exaltée ne vit plus que coquilles dans la nature, et qu'il crut enfin tout de bon que l'univers n'était que coquilles, débris de coquilles, et que la terre n'était que du cron.

    (Rousseau - Les Confessions, VIII)

  • Berg, Webern, Boulez

    Salle Pleyel.

    La Suite lyrique de Berg et les Cinq mouvements pour cordes de Webern étaient données successivement dans la version originale pour quatuor à cordes puis selon l’orchestration faite par le compositeur. La Suite Lyrique, dans la version pour quatuor, était amputée des mouvements que Berg n’a pas transposés ; on aurait volontiers troqué la reprise contre une exécution complète de l’œuvre originale : intime et nue, avec les souffles, les élans, les ahans, le battement de cœur manqué, les chuchotements…, son langage et son impudeur (qu’on connaisse ou non le secret) qui font penser à Tristan.
    Dans les Cinq mouvements, la musique installe des climats (je ne sais si on peut parler de glas ou d’ostinato) qui crée une durée paradoxale dans des morceaux si brefs.

    En seconde partie, de Boulez, les Improvisations sur Mallarmé dont je suis bien en peine de reconnaître les poèmes (ou même les syllabes qui en forment les vers). Un grelot accompagne presque chaque vocalise ; l’amas des percussions rappelle les "pierreries" d’Hérodiade ou sa "pudeur grelottante d’étoile". Un trombone bouché représente peut-être la "trompe sans vertu" d’A la nue accablante tu.