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  • Religion du signe

    (...)

    La salle vaste et haute a l'air, comme du fait d'une présence occulte, plus vide, et le silence, avec le voile de l'obscurité, l'occupe. Point d'ornements, point de statues. De chaque côté de la halle, nous distinguons, entre leurs rideaux, de grandes inscriptions, et au-devant, des autels. Mais au milieu du temple, précédé de cinq monumentales pièces de pierre, trois vases et deux chandeliers, sous un édifice d'or, baldaquin ou tabernacle, qui l'encadre de ses ouvertures successives, sur une stèle verticale sont inscrits quatre caractères.

    L'écriture a ceci de mystérieux qu'elle parle. Nul moment n'en marque la durée, ici nulle position, le commencement du signe sans âge : il n'est bouche qui le profère. Il existe, et l'assistant face à face considère le nom lisible.

    Enonciation avec profondeur dans le reculement des ors assombris du baldaquin, le signe entre les deux colonnes que revêt l'enroulement mystique du dragon, signifie son propre silence. L'immense salle rouge imite la couleur de l'obscurité, et ses piliers sont revêtus d'une laque écarlate. Seuls, au milieu du temple, devant le sacré mot, deux fûts de granit blanc semblent les témoins, et la nudité même, religieuse et abstraite, du lieu.

  • Pause

    Ceci s'interrompt quelques jours. Pour emplir cette pause d'une solennité qu'elle n'a pas (dire qu'on se tait, c'est parler encore ; l'écrire, ce serait le dire perpétuellement ; etc.), je recopie les trois derniers paragraphes de la Religion du signe de Claudel (Connaissance de l'Est).

  • Capitale

    Je relis René Leys de Segalen :

    On ne peut disconvenir que Pei-king ne soit un chef d'œuvre de réalisation mystérieuse. Et d'abord le plan triple de ses villes n'obéit pas aux Lois des foules cadastrées ni aux besoins locataires des gens qui mangent et qui peuplent. La capitale du plus grand Empire sous le ciel a donc été voulu pour elle-même ; dessinée comme un échiquier tout au nord de la plaine jaune ; entourée d'enceintes géométriques ; tramée d'avenues, quadrillées de ruelles à angles droits et puis levée d'un seul jet monumental ... - habitée, ensuite, et enfin débordée dans ses faubourgs interlopes par ses parasites les sujets chinois. - Mais le carré principal, la ville tartare-mandchoue fait toujours un bon abri aux conquérants, - et à ce rêve : (...)

    (étrange roman dont le narrateur (qui s'appelle Segalen), tout à son rêve d'inaccessible, s'aveugle, ou feint de s'aveugler, et entraîne dans son délire le jeune et impressionnable René - cela finit mal.)

  • Emeutes

    (Le 1er Décembre 1921) Les rues se gonflèrent comme des torrents furieux et les parties les plus fragiles des façades immobiles furent enfoncées et détruites (...)

    Ainsi commence le Divertimento n°1 de Doderer (trad P Deshusses) et pour les deux protagonistes de cette nouvelle, c'est le point de départ de l'épanchement du songe dans la vie réelle.

    Il est question d'une autre journée d'émeute à Vienne (le 15 Juillet 1927) dans le grand livre de Doderer Les Démons ; mais ici comme là il s'agit de révéler la trajectoire de vies humaines soumises aux puissances redoutables de « l'intérieur » (obsessions presque inconscientes, frayeurs oubliées de l'enfance) et de « l'extérieur » (l'Histoire, la Société).

  • Pas vu l'expo Dada

    Journal : Dimanche. Mangé du veau. A Beaubourg renoncé à voir l'expo Dada (bondée).

    Moralité (selon Tzara) :
    dada
    dada
    mangez du veau

  • Schubert, Schumann

    Au Châtelet.

    Lieder de Schubert sur des poèmes de Goethe. Surtout der Musensohn : le musicien-poète possédé par les Muses, par le mètre et par le rythme entraînant, entraîné dans une allégresse irrépressible et presque inquiétante, devançant les saisons, courant les champs et les villages, animant au passage le « gros garçon » et la « raide demoiselle », s'en moquant, allant selon sa joyeuse chanson, solitaire et rêvant de repos.

    Lieder de Schumann sur des poèmes d'Eichendorff. Toutes les vignettes du romantisme allemand : l'exil, la bien-aimée lointaine, la solitude, la nature angoissante ou consolatrice, les chasseurs qui sonnent du cor, le rossignol, le château moyenâgeux et même le Rhin et la Lorelei ; mais profondément d'accord avec la musique. Trois favoris :

    Mondnacht : la voix s'égale au paysage nocturne (clarté blanche de la lune, scintillement des étoiles). Auf einer Burg : un paysage vu en plongée ; le vieux château avec son spectre sinistre domine le fleuve où passe une noce faussement joyeuse ; la jeune mariée pleure (et la voix pleure avec elle). Surtout, Zwielicht, vision inquiétante du crépuscule où les arbres frissonnent, les nuages passent « comme les mauvais rêves » ; heure des amours mortelles et des amitiés trahies ; la voix commande soudain : « (bien des choses se perdront dans la nuit) Prends garde ! »

    (Mais comme trop souvent, c'est par un bis peut-être qu'on est le plus touché : un autre lied de Schumann, une musique qu'on ne connaît pas, des paroles (de Kerner) qu'on ne comprend guère (c'est mieux ainsi), Stirb, Lieb' und Freud' !, un petit roman ausbourgeois avec scène de prière et cœur brisé.)

  • La Walkyrie

    Au Châtelet.

    Impression d'ensemble : la musique est moins belle que dans l'Or du Rhin, plus lyrique, plus dramatique mais moins extraordinairement évocatrice.

    Impression de détail : (récapitulons cette histoire bien connue)

    Le premier acte est comme un opéra dans l'opéra, le seul des trois actes à avoir une action cohérente et continue. C'est une espèce de Tristan et Isolde miniature (moins le dénouement), un triangle amoureux, héroïque au lieu de masochiste, mais également placé sous le signe de l'extase nocturne et de la transgression. Ce soir, ça débute très lentement, trop (?) lentement : la rencontre de Siegmund et de Sieglinde est presque paralysée comme s'il s'agissait non pas des premiers feux de l'amour mais de beaucoup plus tard après sa consommation. Heureusement, le mari, Hunding, arrive et nous tire de l'assoupissement. Il est terrifiant, éclairé en vert, vert comme un revenant malfaisant dans une saga islandaise. Inopportunément, face à lui, le héros Siegmund fait pâle figure. Mais l'émotion et l'action ne commencent véritablement que plus tard avec le récit de Sieglinde (Hunding dort). Quelle amertume de femme mal mariée, quel mépris de femme déchue pour sa belle-famille ! Son chant (seul, face au public) a une telle force que Siegmund ne semble plus être alors qu'un fantôme né de sa haine, un reflet et un écho d'elle-même dans la solitude, mêlés au souvenir de son père, un rêve où s'incarnent sa frustration et son désir de vengeance. Les deux amants, le frère et la sœur, fuient dans la nuit transfigurée.

    Dans les actes suivants les scènes se succèdent sans avoir la même cohérence. Leur intérêt (j'ai l'impression) dépend beaucoup de la qualité des interprètes, de leur capacité à faire passer les émotions et les raisons des personnages (ce n'est pas gagné). Après un Heiaha! Hojotoho! gamin de la Walkyrie, Brünnhilde : scène de ménage entre son père et sa belle-mère. Fricka, moitié mégère, moitié philosophe de la liberté, vient demander à Wotan de punir son fils Siegmund coupable d'avoir bafoué les lois du mariage. Wotan cède, et une fois seul, sombre avec l'orchestre dans la dépression (on croit à l'accablement de Wotan, moins à sa colère, jamais à son autorité). Il envoie Brünnhilde annoncer sa mort à Siegmund. Fameuse scène avec roulements de timbale, déjà la Marche Funèbre du Crépuscule des Dieux. De gamine Brünnhilde se métamorphose en déesse de la mort avant de se laisser attendrir (après un jeu de question-réponse sur ce que l'on trouve au Walhalla) par l'amour suicidaire des deux Sieg. Combat d'ombres chinoises et victoire de Hunding sur Siegmund, doublé par la confrontation entre Wotan-Fricka et Brünnhilde. Sur le devant de la scène, Sieglinde voit tout cela comme un cauchemar (je finirais par croire que tout l'opéra n'est que le rêve parthénogénétique de Sieglinde).

    Le troisième acte commence par la Chevauché des Walkyries (un mauvais moment à passer). Brünnhilde a recueilli Sieglinde et cherche refuge auprès de ses sœurs. Pour calmer les pulsions suicidaires de Sieglinde, elle commence à prophétiser et lui annonce la naissance d'un fils : retentit alors le thème de Siegfried et cela sonne comme une réclame pas très engageante pour l'opéra suivant. Wotan arrive. Les Walkyries s'enfuient. Le thème de la Chevauchée revient mais sous une forme plus évocatrice : une débandade, une déroute, une dispersion aux quatre coins du ciel. Wotan condamne sa fille rebelle à se faire déflorer par le premier homme qui passera. Un beau passage tire-larmes des vents à l'orchestre commence la déploration-plaidoyer de Brünnhilde. Elle impose sa volonté (ce Wotan est un pantin) : un feu magique entourera le rocher où elle repose et en réservera l'accès au « héros sans peur ». Alors les fameux adieux de Wotan (moins impressionnants sans Wotan). Mais retentit l'appel du dieu du feu - Loge : et la musique devient merveilleuse. Sur les flots du lyrisme impuissant de Wotan viennent briller les flammes magiques qui ne s'éteindront plus, roulant, dansant, brûlant sans consumer. Le scintillement décroît et croît sous le soufflet de l'orchestre mais demeure inextinguible, toujours changeant, immobile.

    (C'est avec cette image dans l'oreille qu'on attendra la suite en janvier.)