(Lisa meurt. On la revêt de "la jolie robe blanche d'une des filles de Klavdia Pétrovna". Après les funérailles, Veltchaninov bouleversé se souvient de l'enfant mort :)
Il se recréait son petit visage pâle, se ressouvenait de chacune de ses expressions ; il se souvenait aussi d'elle dans la tombe, couverte de fleurs, et, avant, insensible, dans cette fièvre, les yeux ouverts et immobiles. Il se souvint brusquement que, alors qu'elle était déjà étendue sur la table, il avait remarqué qu'un de ses doigts avait noirci, Dieu seul savait pourquoi, pendant la maladie ; sur le coup, cela l'avait tellement tellement bouleversé, et il le plaignit si fort, ce petit doigt, que c'est là que cela lui était revenu en tête, la première fois – retrouver Pavel Pavlovitch [le père de Lisa], et le tuer – alors que, jusqu'à ce moment-là, il avait été "comme insensible".
(La chair noircie contraste avec l'étoffe claire de la robe : ailleurs dans le roman, il est question inversement, à plusieurs reprises, d'un "coffret de famille, en bois d'ébène avec incrustation de perles". Ce coffret appartenait à Natalia Vassilievna, la mère de Lisa. Elle y cachait sa correspondance intime, les messages qu'elle a reçus de son amant Bagaoutov. Après sa mort, Pavel Pavlovitch y découvre, avec ceux-ci, une lettre écrite par sa femme et qu'elle avait finalement choisi de ne pas envoyer à son destinataire, Veltchaninov. Pavel y a lu, noir sur blanc, la révélation d'un autre secret : Veltchaninov aussi a été l'amant de sa femme ; Lisa est le fruit de leur liaison. A la fin du roman, Veltchaninov entre en possession de la lettre ; en prenant connaissance à son tour, il imagine la scène :)
"Sans doute, lui aussi, il est devenu blême, comme un mort, se dit-il, remarquant par hasard son visage dans la glace, sans doute, il lisait, il fermait les yeux et, brusquement, il les rouvrait encore, en espérant que la lettre se transformerait en simple papier blanc... Sans doute, trois fois de suite, il a recommencé l'expérience !..."
(L'appartement de Veltchaninov se compose de deux grandes pièces, séparées par un vestibule, l'une donnant sur rue, l'autre sur cour. Seule la première possède des doubles rideaux. Pendant les nuits blanches de Pétersbourg, l'obscurité peut être faite dans celle-ci ; dans l'autre la clarté règne aux petites heures du matin. Deux ou trois fois, Pavel Pavlovitch reste dormir chez Veltchaninov, avec lui, à l'autre extrémité de la chambre assombrie.)
Il faisait nuit dans la chambre (les doubles rideaux étaient complètement tirés), mais il lui sembla [à Veltchaninov] que Pavel Pavlovitch n'était pas couché, qu'il s'était redressé, qu'il était assis dans son lit.
– Qu'est-ce qui vous arrive ? l'appela Veltchaninov.
– L'ombre, n'est-ce pas, répliqua Pavel Pavlovitch d'une voix à peine audible, après un court silence.
– Quoi, quelle ombre ?
– Là-bas, dans l'autre chambre, à la porte, j'ai vu, n'est-ce pas, comme une ombre.
– L'ombre de qui ? demanda Veltchaninov, après un temps de silence.
– De Natalia Vassilievna.
(Dostoïevski, L'Eternel Mari – trad. A Markowicz)