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  • Mozart, Schubert

    Concert au Théâtre du Châtelet.

    Avant que ça commence, une voix off avertit que la première partie serait réduite au seul Sposo deluso : l'opéra bouffe, inachevé, de Mozart suffit amplement « en raison de la découverte de nouveaux numéros ». Les airs chantés correspondent au programme imprimé, qui n'en dit mot. On n'en saura pas plus (exit la Symphonie n°33).

    En seconde partie, la Neuvième de Schubert.

    (La symphonie étale un paysage, s'y aventure, le replie, change son ciel, l'embrume, souffle, éblouit. Je me disais, quelquefois absent sans cesser d'y être, entendant sans toujours écouter : la musique n'est pas seulement un phénomène sonore, c'est un espace, que la salle renferme et où on est pris. Architecture enveloppante, invisible ou obscure (fermons les yeux), échafaudée dans le temps, transitoire).

  • Autre oiseau

    Mais quelques-uns, en songeant que la richesse aurait pu venir à eux, se sentaient prêts à défaillir ; car ils l'auraient mise aux pieds d'une femme dont ils avaient été dédaignés jusqu'ici, et qui auraient enfin livré le secret de son baiser et la douceur de son corps. Ils se voyaient avec elle, à la campagne jusqu'à la fin de leurs jours, dans une maison tout en bois blanc, sur le bord d'un grand fleuve. Ils auraient connu le cri du pétrel, la venue des brouillards, l'oscillation des navires, le développement des nuées, et seraient restés des heures avec son corps sur leurs genoux, à regarder la marée et s'entrechoquer les amarres, de leur terrasse, dans un fauteuil d'osier, sous une tente rayée de bleu, entre des boules de métal.

    (Une image en appelle une autre. Le pétrel remplace la chouette. La monotonie d'un cri se confond avec l'oscillation des marées. La vie brève et ratée s'éternise dans la brume, s'accomplit dans le rêve et la vision. Nous sommes toujours chez Proust, mais ici avec Flaubert - dans l'Affaire Lemoine).

  • Monotone et inimitable

    Profitons de ces quelques lignes de Chateaubriand pour citer Proust :

    J'aime lire Chateaubriand parce qu'en faisant entendre toutes les deux ou trois pages (comme après un intervalle de silence dans les nuits d'été on entend les deux notes, toujours les mêmes, qui composent le chant de la chouette) ce qui est son cri à lui, aussi monotone mais aussi inimitable, on sent bien ce que c'est qu'un poète. Il nous dit que rien n'est sur la terre, bientôt il mourra, l'oubli l'emportera ; nous sentons qu'il dit vrai, car il est un homme parmi les hommes ; mais tout d'un coup parmi ces événements, ces idées, par le mystère de sa nature il a découvert cette poésie qu'il cherche uniquement, et voici que cette pensée qui devait nous attrister nous enchante et nous sentons non pas qu'il mourra, mais qu'il vit, qu'il est quelque chose de supérieur aux choses, aux événements, aux années, et nous sourions en pensant que ce quelque chose est le même que nous avons déjà aimé en lui.

  • L'empire englouti

    Au cinéma, le Soleil de Sokourov.

    Tout baigne dans une lumière sourde. Le bunker semble un sous-marin échoué. Le rituel confiné pèse et rend les gestes difficiles comme s'ils étaient encombrés de scaphandres et de semelles de plomb. Par moments l'empereur tel un poisson ouvre et ferme la bouche sans qu'aucun son en sorte. Il considère avec délice un crabe sans couleur.

    Dans une séquence rêvée (qui fait penser au dernier Miyazaki), la ville de Tokyo en ruine est le fond gris d'une mer morte. Au dessus des explosions et leur boule de feu, des poissons métalliques rôdent comme les bombardiers

  • Août

    La première fois que je suis allé à Rome, c'était au mois d'août. Malgré la chaleur on cavalait (la ville est immense, les vacances sont courtes et nous sommes jeunes). Le soir les vêtements sont blanchis par le sel. Epuisés, on reste près des fontaines.

    La favorite est la Barcaccia, place d'Espagne. On peut s'asseoir sur la margelle ovale, tournés vers l'eau, sans parler, écouter sa conversation insaisissable, familière et bavarde. C'est le théâtre d'une seule scène : le défilé des Romains qui vont boire. La vasque a la forme d'une barque ; ils passent à la proue ou à la poupe, traversent le bassin sur une pierre. Les hommes trempent les lèvres dans le jet ou le reçoivent directement au fond du gosier, ils maîtrisent l'art de ne pas faire d'éclaboussures. Les femmes boivent dans un gobelet ou dans la paume. L'autre main est posée sur la pierre. Tiède, pleine et mate, elle contraste avec la fraîcheur pâle et poreuse du travertin.

  • Rimski-Korsakov

    Concert au Théâtre des Champs-Elysées.

    De Salieri une ouverture.
    De Mozart un concerto.
    De Rimski-Korsakov des « scènes dramatiques » tirées de Pouchkine, dont le titre reprend congrûment le nom des compositeurs joués en première partie. (Mais ça ne fait pas un programme cohérent, au contraire : après les œuvres des originaux, les personnages de Pouchkine frisent le grotesque. Salieri tire une fiole de poison de sa poche, la brandit et déclame ; plus loin Mozart s'apeure : « Mon requiem m'inquiète » ).

    (Sentiments mêlés dans l'archi-célèbre andante du 21ème concerto : plaisante promenade quelquefois envahie par une tension telle le frôlement d'une douleur insupportable).