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  • Ligeti, Pablo, Jolas, Messiaen

    Salle Pleyel. 

    "Carte blanche à Henri Dutilleux" : c’est le musicien qui a choisi le programme ; il est assis au parterre et vient saluer à la fin, entraînés par les deux compositeurs présents. C’est lui également qui a insisté pour que la pièce de Betsy Jolas soit donnée deux fois. "Car les ouvrages de notre temps sont très désavantagés par rapport à ceux du répertoire et, dans leur cas, il est bien rare que le public ait dans l’oreille ce qu’il va entendre". Entre les deux exécutions, Betsy Jolas  vient remercier le maître et présenter le morceau redoublé. L’air de concert est tiré son opéra Schliemann. La suite (dont il constitue également un extrait) n’a pas servi à de prospectus à l’opéra avant sa création, comme c’est la coutume, mais elle permet a posteriori d’en faire entendre à nouveau la musique (thème obsédant de la soirée). On y reconnaît deux leitmotive (non, pas davantage) : le bruit du vapeur et le motif d’Hélène (la musicienne trace en l’air une espèce de chapiteau de cirque : mouvements, ascendant et descendant, en deux sections disjointes). Il y a encore quelque chose du Farben de l’opus 16 de Schönberg. Le livret vient d’une pièce de théâtre. L’auteur y a trouvé toutes les figures qui "font" le genre :  air des bijoux , duo d’amour et ensemble mozartien.  La scène est au large de l’Asie mineure, sur le pont du navire. Il fait nuit. L’épouse grecque de l’archéologue chante alors que celui-ci s’endort la tête sur ses genoux. A côté d’eux, une grosse caisse (non j’ai lu le programme trop vite : il s’agit d’une grande caisse) contient les bijoux mis au jour dans les ruines de Troie.

    (La musique est belle mais il manque quelque chose qui marquerait la mémoire ; ni le personnage ni le texte ne font forte impression et ne retiennent la fugitive. Il est en revanche difficile d’oublier Lontano, donné en ouverture, quand on l’a entendu une fois.)

  • Vieillesse de l'écrivain

    It would make a perfectly viable story, of a minor kind. But I doubt I will ever get down to writing it. Of late, sketching stories seems to have become a substitute for writing them.

    (...)

    Growing detachment from the world is of course the experience of many writers as they grow older, grow cooler or colder. The texture of their prose becomes thinner, their treatment of character and action more schematic. The syndrome is usually ascribed to an attenuation of physical powers, above all the power of desire. Yet from the inside the same development may bear a quite different interpretation: as a liberation, a clearing of the mind to take on more important tasks.

    (Le "je" ci-dessus pourrait être JM Coetzee. Mais, dans son livre, ces réflexions sont attribuées à un certain "Mr JC". Cet écrivain fictif partage quelques traits avec son créateur. Il est né en Afrique du Sud, il est l'auteur d'un livre intitulé Waiting for the Barbarians, il réside depuis quelques années en Australie. Né en 1934 (et non 1940), il compose ces notes en 2006 ; il les enregistre puis elles sont transcrites par une jeune femme, une voisine qu'il a embauchée spécialement pour ce travail (mais pas en raison de ses qualités de dactylo.)

    Diary of a bad year est partagé en deux dans le sens de la longueur (les deux parties correspondent à deux séries d'essais de "Mr JC", la matière de l'une est publique, le ton réprobateur, celle de l'autre intime et incertaine) ; le livre est également, presque à chaque page, coupé en trois dans le sens de la hauteur : sous l'essai courent deux textes qui pourraient être (sans dates) des journaux intimes, essentiellement la transcription de dialogues : témoignent d'abord "Mr JC", puis sa "secrétaire".

    Les opinions professées par "Mr JC" sont mises à distance par l'histoire racontée (aussi "mince et schématique" soit-elle) dans les deux rapports ; l'expression et le contenu des essais participent à l'intrigue amoureuse et (presque) policière qui lie les personnages : "Mr JC", sa "secrétaire" et le compagnon de celle-ci. Roman et essais s'épaulent, relançant l'intérêt, mais l'un et l'autre, en allant, plus faibles et plus brefs, conduisent le texte à sa fin, accompagnant l'écrivain jusqu'au seuil de la mort.)

  • Ariane et Barbe-Bleue

    A l'opéra Bastille.

    Ici,  et .

    (Sélysette, Ygraine, Mélisande, Bellangère et Alladine : prénoms impossibles des cinq premières femmes de Barbe-Bleue, noms inventés de béguines, babil de vieilles enfants recluses ; on comprend que, comme elles, ils ont besoin de s'abriter derrière les murs, les fossés pleins d'eau et les ponts levés du château et ne supporteraient pas le grand air. Leur chanson, la comptine fausse des filles d'Orlamonde, monte des souterrains à l'ouverture de la dernière porte. Dans leur bizarrerie, elles sont plus humaines pourtant qu'une Ariane, donneuse de leçons, VRP de la libération, qui les fait paraître et les anime sans parvenir à les mener hors de leur geôle refuge.)

  • Jeffrey Aspern contre la Dame de pique

    Tchekalinski commença à tailler ; ses mains tremblaient. À droite, on vit sortir une dame ; à gauche un as.
    « L’as gagne, dit Hermann, et il découvrit sa carte.
    – Votre dame a perdu », dit Tchekalinski d’un ton de voix mielleux.
    Hermann tressaillit. Au lieu d’un as, il avait devant lui une dame de pique. Il n’en pouvait croire ses yeux, et ne comprenait pas comment il avait pu se méprendre de la sorte.
    Les yeux attachés sur cette carte funeste, il lui sembla que la dame de pique clignait de l’œil et lui souriait d’un air railleur. Il reconnut avec horreur une ressemblance étrange entre cette dame de pique et la défunte comtesse…
    « Maudite vieille ! » s’écria-t-il épouvanté. Tchekalinski, d’un coup de râteau, ramassa tout son gain. Hermann demeura longtemps immobile, anéanti. Quand enfin il quitta la table de jeu, il y eut un moment de causerie bruyante. Un fameux ponte ! disaient les joueurs. Tchekalinski mêla les cartes, et le jeu continua.

    (Pouchkine - La Dame de pique, trad. Mérimée)

    "She wanted to say something to me--the last day--something very particular, but she couldn't."
    "Something very particular?"
    "Something more about the papers."
    "And did you guess--have you any idea?"
    "No, I have thought--but I don't know.  I have thought all kinds of things."
    "And for instance?"
    "Well, that if you were a relation it would be different."
    "If I were a relation?"
    "If you were not a stranger. Then it would be the same for you as for me. Anything that is mine--would be yours, and you could do what you like. I couldn't prevent you--and you would have no responsibility."

    She brought out this droll explanation with a little nervous rush, as if she were speaking words she had got by heart. They gave me an impression of subtlety and at first I failed to follow. But after a moment her face helped me to see further, and then a light came into my mind. It was embarrassing, and I bent my head over Jeffrey Aspern's portrait. What an odd expression was in his face!  "Get out of it as you can, my dear fellow!"
    (James - The Aspern Papers).

    [Ou bien James d'après Pouchkine ? 

    (...) the whole episode was essentially delightful to me. I foresaw that I should have a summer after my own literary heart, and the sense of holding my opportunity was much greater than the sense of losing it.  There could be no Venetian business without patience, and since I adored the place I was much more in the spirit of it for having laid in a large provision. That spirit kept me perpetual company and seemed to look out at me from the revived immortal face--in which all his genius shone--of the great poet who was my prompter. I had invoked him and he had come; he hovered before me half the time; it was as if his bright ghost had returned to earth to tell me that he regarded the affair as his own no less than mine and that we should see it fraternally, cheerfully to a conclusion.]

  • Atterrissage

    Après un crochet au-dessus de la Mer du Nord, on rejoint la terre qui a l'air d'une plaque posée sur les eaux, découpée comme un pochoir ; la ligne du rivage se poursuit, sans cassures, par tronçons, de dunes en digues. Des éoliennes y sont plantées, blanches comme l'écume à leur pied, signes et couleur du mouvement invisible du vent et des vagues.  On survole un canal semblable à un bras de mer tracé à la règle. Des péniches, étirées selon la perspective, désignent l'horizon où s'accumulent grues, entrepôts et darses. Dans l'éloignement, des ramifications forment le réseau des villes ; un port immense, occupé de lui-même, semble constituer tout l'intérieur du pays.

  • The Spoils of Poynton (2)

    En plus d’une occasion, dans le cours du roman, Mrs Gereth fait comprendre à son fils Owen, quelque fois fort brutalement, qu’elle souhaite le voir épouser sa protégée, Fleda Vetch. A cette condition, lui dit-elle, il pourra prendre possession des objets d’art (the spoils) que Mrs Gereth a patiemment collectionnés et dont elle refuse de se séparer bien que, depuis la mort de son mari, le fils en soit le propriétaire légal.

    Le motif rappelle un autre chantage matrimonial dans une nouvelle du même auteur, The Aspern Papers: le narrateur en est un critique littéraire ; il poursuit une vieille femme autoritaire et avare qui a été la maîtresse, soixante ans plus tôt, d’un poète célèbre et qui garde sans doute en sa possession des lettres et des manuscrits qu’elle refuse de laisser voir. La vieille dame vit seule avec sa nièce dans un palais vénitien délabré. Tout le sel de l’histoire vient de l’espèce de cour que le narrateur fait à la plus jeune pour gagner la confiance de la vieille et, en retour, du marchandage qu’on finit par lui suggérer, à sa grande confusion (il est pris à son propre piège) : le mariage avec la nièce, Miss Tina, en échange des papiers.

    Dans les deux récits, le mariage proposé ne se fait pas et le  trésor finit dans les flammes. Mais d’une histoire à l’autre, le point de vue a bien changé : Fleda Vetch, contrairement à Miss Tina, est le personnage central du roman et nous suivons le déroulement du drame selon la compréhension qu’elle en a ; en ce sens, elle se rapproche du narrateur des Aspern Papers (dont elle reprend un autre trait : la dévotion pour le trésor, au point que les mots sont presque les mêmes pour décrire le désespoir de l’un et de l’autre, quand celui-ci est détruit). Le ressort implicite de la nouvelle (la discordance entre les vues du narrateur et celles des deux femmes) devient, dans le roman, un problème trouble et indécidable. On connaît mal, dans celui-ci, les motivations d'Owen, le fils de Mrs Gereth (qui occupe une position équivalente à celle du narrateur des Aspern Papers). Les deux images contradictoires du comportement d’Owen (il est amoureux de Fleda ; il se sert de Fleda comme d’un moyen pour récupérer son bien) se superposent et  le dénouement ne permet pas au lecteur de choisir une hypothèse plutôt que l'autre. 

    (Pour continuer le jeu d’échos, on pourrait s’amuser à remonter jusqu’à la Dame de Pique de Pouchkine dont les Aspern Papers semblent être une transposition  (je ne sais pas si cela est avéré ?) et chercher à deviner sous les traits de Fleda Vetch ceux de Lisabeta Ivanovna, dame de compagnie de la terrible Comtesse Anna Fedotovna.)

  • Bach

    Concert Johann Christoph Bach et Johann Sebastian Bach à la Cité de la Musique.

    (Johann Christoph Bach (1642-1703) était un cousin du père de Johann Sebastian. En écoutant les oeuvres réunies, toutes à dominante funèbre, du premier puis du second, on avait l'impression de constater les progrès d'une secte doloriste devenue religion officielle, passant de l'artisanat réservé aux délices d'un cercle pieux au grand art nécessaire aux pompes d'une cour.)