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  • Chostakovitch, Sibelius

    Avery Fisher Hall, le 12 avril.

    J'ai rarement assisté à un concert où le public manifeste aussi peu d'intérêt. Les applaudissements qui suivent le premier concerto pour violon de Chostakovitch ne suffisent pas à faire rejouer le soliste, malgré les efforts d'un homme au premier rang (il s'est mis debout dès la fin et tente, en se retournant, de communiquer son enthousiasme ; quelques-uns l'imitent mais peut-être se lèvent-ils pour être les premiers à rejoindre la buvette. Difficile de juger : je suis assis tout en haut de la salle. La musique était moins présente que la toux de l'assistance et la performance lointaine ressemblait à une lampe oubliée, restée allumée et qui empêche de dormir). Dans la seconde partie, les suffrages sont encore plus maigres. Pour conjurer sans doute la fin en suspens de la sixième symphonie de Sibelius, le programme y accole Tapiola. Sans succès. La salle commence à se vider bien avant la scène. (Cette fois-ci, je suis assis en bas, tout près, mais la symphonie est jouée sans entrain, décomposée.)

  • En route

    Avant de partir revoir Madame Leblanc, je m'arrête devant Madame Marcotte : autant la première, dans mon souvenir, est simple et affable, autant la seconde apparaît compliquée et peu amène. Même l'or de ses bijoux ne brille pas beaucoup alors que le tissu du canapé resplendit. Son caractère lui vient peut-être de sa coiffure impossible : deux mystérieuses tours noires au sommet de la tête et puis deux ailes tout aussi noires, plaquées en haut du front, qui finissent en rouleaux sur les tempes. La ténébreuse involution contamine les ailes du nez et les commissures des lèvres, qui se renfrognent. La robe reproduit le système d'aplanissement et de gonflement de la chevelure, contredisant le corps et la respiration  : déprimée au centre, sur la poitrine que sangle une ceinture, et bouffante dans les manches... (Décidément, la merveille des portraits d'Ingres, c'est l'équilibre entre la ressemblance et l'abstraction :  les formes simples de la géomètrie courbent la figure, les matières se changent en motifs sans que le portrait disparaisse.)

  • Lully, Haendel, Marais, Rameau

    Au théâtre des Champs-Elysées.

    Comme si la musique ne suffisait pas, dans les suites de Rameau et de Marais, quand le vent parle un peu haut, le tambour, désoeuvré, souffle dans ses mains et imite les bourrasques : pffff ! pffff !

    L'accalmie succède à la tempête. Les vents retenant leur haleine laissent paisiblement aborder les vaisseaux ; on arrive dans un pré / Tout bordé de ruisseau, de fleurs tout diapré / Séjour du frais, véritable patrie / Des zéphyrs. Les flûtes cessent de contrefaire les éléments et jouent des airs de danse ou dansent.

    Pendant les rappels, le chef se tourne à-demi vers le public et lui fait marquer le rythme en battant des mains.

  • H. M.

    Au Louvre, revu le David sacré roi par Samuel, de Claude Lorrain.

    Au premier plan, sous un haut portique se déroule la scène qui donne son nom à l'oeuvre. A côté, devant le palais, des serviteurs vont et viennent parallèlement au plan de la toile. Un sacrifice se prépare. On amène un bélier ; l'homme qui doit le mettre à mort attend debout, au centre, la double hache sur l'épaule. Au-delà s'étend un magnifique paysage de vallée, dans une douce lumière. Une ville est massée au pied des montagnes (dont le modèle est peut-être une ville d'Italie que le peintre a vue, de brique et de travertin, encore médiévale, fortifiée). Je ne peux m'empêcher de faire le lien entre cette cité et la royauté accordée à David (dans le tableau les deux éléments se répondent d'un plan à l'autre, à gauche)... Devant la ville, il y a un pont d'une forme peu commune, interrompue, comme un m disjoint : deux arches de pierre, une pile centrale, deux passerelles que l’on imagine en bois : dans le rapport imaginé, la symétrie de la construction fait écho à celle de l'instrument du sacrificateur...

    Peu après, le lisais : "Le labyrinthe, c'est le lieu de la double hache (Labryx)" / Robbe-Grillet à Cerisy : "Cela posé, je n'ai pensé ni au poignard, ni au Labyrinthe, ni à quoi que ce soit de ce genre mais à deux lettres qui au point de vue graphique sont les deux plus proches, puisqu'il y a des façons de tracer le M qui le font ressembler tout à fait à un H (--> Henri Martin, Dans le labyrinthe). (...) H. M., c'est le personnage dont le prénom est identique au nom de famille (??? --> Humbert Humbert, Lolita), et dont chaque moitié de lettre est identique à la deuxième moitié, ce qui produit une double annulation, comme si le nom y disparaissait lui-même en tant que nom" 
    (in Renaud Camus, Journal de Travers, Fayard, p226)