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  • Fagin's last night alive

    L'avant-dernier chapitre d' Oliver Twist commence ainsi :

    The court was paved, from floor to roof, with human faces. Inquisitive and eager, eyes peered from every inch of space. From the rail before the dock, away into the sharpest angle of the smallest corner in the galleries, all looks were fixed upon one man -- Fagin. Before him and behind: above, below, on the right and on the left: he seemed to stand surrounded by a firmament, all bright with gleaming eyes.

    Le tribunal rend son verdict. Fagin est condamné à mort. La muraille faite de visages et la nuit faite d'yeux cèdent la place aux murs réels de la prison, à l'obscurité de la cellule. Quelques journées sans jour passent.

    Enfin, dans le dernier paragraphe, on franchit la porte vers l'extérieur ; dehors le jour se lève : cependant la foule est rassemblée à nouveau et, si les ténèbres ne sont plus tout autour, à la périphérie, elles sont toujours là, au centre :

    Day was dawning when they again emerged. A great multitude had already assembled; the windows were filled with people, smoking and playing cards to beguile the time; the crowd were pushing, quarelling, joking. Everything told of life and animation, but one dark cluster of objects in the centre of all--the black stage, the cross-beam, the rope, and all the hideous apparatus of death.

  • one slow melancholy wind

    Oliver Twist, de Dickens.

    Le bandit Sikes tue sa bonne amie Nancy parce qu'elle a commis le plus grand des forfaits qui se conçoive dans le monde du crime : elle a parlé. Le meurtre est particulièrement horrible et particulièrement injuste puisque la jeune fille, en trahissant, a tout fait pour protéger son compagnon et a sacrifié l'espoir d'une fuite et d'une vie nouvelle pour rester auprès de lui.

    Après le meurtre, au lever du jour, Sikes quitte la grande ville, erre toute la journée dans les environs, allant, revenant sur ses pas, fuyant, s'arrêtant, sans oser entrer dans une taverne avant le soir.

    Alors que,  réfugié dans un coin de la salle, il peut enfin manger et boire,  un marchand ambulant vient à entrer et commence son boniment : il a ici un produit très efficace et pas bien cher pour venir à bout de toutes les taches imaginables ; il se propose d'en faire la démonstration à qui voudra ; ce monsieur-là (Sikes) a d'ailleurs sur son chapeau une marque sombre

    ....no wider than a shilling, but thicker than a half crown. Wether it is a wine-stain, fruit-stain, beer-stain, paint-stain, pitch-stain, mud-stain, or blood-stain ---

    Sikes n'en écoute pas plus long et prend la fuite (tel Wozzeck dans la scène à l'auberge quand tous se mettent à crier : Blut ! ).

     

    Personne ne cherche à suivre Silkes dans la nuit. Cependant, depuis le matin, le fantôme de la morte le hante :

    He could trace its shadow in the gloom, supply the smallest item of the outline, and note how stiff and solemn it seemed to stalk along. He could hear its garments rustling in the leaves, and every breath of wind came laden with that low cry. If he stopped it did the same. If he ran, it followed- not running too: that would have been a relief: but like a corpse endowed with the mere machinery of life, and borne on one slow melancholy wind that never rose or fell.

    Le lendemain, alors qu'il a entrepris de revenir à Londres, ce n'est plus le fantôme qui l'effraie mais son propre chien ; la bête ne l'a pas quitté dans sa fuite, elle a été là tout le temps auprès de lui, sur ses pas (comme le fantôme) ; elle peut le faire reconnaître. Silkes décide donc de noyer son chien.

  • Pelléas et Mélisande (3)

    Au Musée d'Orsay.

    Plus touché par cette représentation que par la précédente (il vaut mieux s'arrêter là).

    Par moment le piano est si beau qu'on a l'impression qu'il pourrait se suffire à lui-même, s'absentant du drame (comme cette lumière venue sur la mer, où se joue l'agonie de Mélisande et qu'elle semble rejoindre).

    (Dans les dernières notes, dans cette conclusion cristalline, l'espèce de ritournelle brève et ancienne qu'on entend me fait penser sans raison aux musiciens de verre de Keller.)

  • Boys is wery lazy

    'Young boys have been smothered in chimneys before now', said a gentleman.

    'That's acause they damped the straw afore they lit in the chimbley to make 'em come down agin,' said Gamfield; that's all smoke, and no blaze; vereas smoke ain't o' no use at all in making a boy come down, for it only sinds him to sleep, and that's wot he likes. Boys is wery obstinit, and wery lazy, gen'lmen, and there's nothink like a good hot blaze to make 'em come down vith a run. It's humane too, gen'lmen, acause, even if they've stuck in the chimbley, roasting their feet makes 'em struggle to hextricate theirselves'

    (Dans le catalogue des carrières permises aux orphelins confiés à la charité publique, au début d'Oliver Twist, celle d'apprenti ramoneur n'est pas la moins réjouissante.)

  • Pelléas et Mélisande (2)

    Au Musée d'Orsay.

    A quelques mètres, dans une petite salle, sans la concurrence de l'orchestre, les voix sont plus fortes, plus incarnées dans les corps plus proches. Par moment la déclamation vient tarir le chant (comme un roc à fleur d'eau). Le parti pris de mise en scène "réaliste", le rôle central donné à Golaud renforcent à leur tour l'atmosphère de brutalité et de violence réelles : une famille renfermée sur elle-même (on ne part pas : à cause des convenances peut-on choisir entre le père et l'ami ? ou par manque d'argent - cette famine qui règne alentours ?) ; quatre générations vivent sous un même toit ; on déplore mais on ne fait rien pour arrêter la folie jalouse du fils aîné, même après le meurtre ; on reste entre soi ; à la fin, cela pourrait recommencer : c'est au tour de la pauvre petite ; une naissance fournit une nouvelle victime : elle ne rit pas... elle est petite... elle va pleurer aussi... j'ai pitié d'elle... (avec quel détachement glaçant Mélisande, voyant son enfant, prononçait ces paroles, les dernières avant de mourir ! - dans ce même spectacle en 2004 - mais la distribution a changé...)

    Cependant la musique ne disparaît pas dans le drame. Même au piano, il y a des moments d'une beauté extraordinaire. Par exemple la scène de la grotte : on y entend bien au-delà des quelques mots échangés, la caverne nocturne, la mer vaste et sombre comme la nuit, la lumière subite de la lune, le bonheur... puis la pitoyable misère des paysans morts de faim, la frayeur et l'amertume.

  • Lecture

    A la Bibliothèque Nationale, dans l'exposition des eaux-fortes de Rembrandt, un Saint Jérôme lisant dans un paysage italien.

    Jérôme, blanc comme le livre dans lequel il s'absorbe, solidement adossé à l'ombre forte d'un tronc et du feuillage, sous un grand chapeau, a laissé ses sandales lui tomber des pieds et tourne le dos au monde. Derrière lui le lion le défendra, si besoin est, contre le paysage qui s'ouvre à droite. Le corps détourné de l'animal forme une courbe semblable à la figure assise du saint. Le ravin devant ses pattes est peut-être une image inversée et aggrandie du faible intervalle qui sépare, au premier plan, la page lue des yeux de son lecteur. Au-delà un pont, deux silhouettes, un chemin montent à un groupe de maisons et à une église dont la tour est tronquée comme l'arbre de Jérôme.

  • Attente

    Le jour où Henri entreprend de vivre de son art et essaie en vain de vendre ses tableaux, il comprend son échec. Ses ressources s'épuisent malgré les envois maternels. Il se résout à des besognes d'ouvrier. Cependant il apprend par un compatriote quelle vie économe et laborieuse sa mère mène là-bas au pays.

    Elle reste assise tout le jour à sa fenêtre et file. Elle file tous les ans que Dieu fait, comme si elle avait sept filles à doter, afin d'amasser quelque chose en attendant, comme elle dit, et afin que son fils trouve au moins assez de toile pour toute sa vie et pour toute sa maison. (...)

    Parfois, elle appuie, pour se reposer, la tête sur sa main et elle fixe les yeux au loin sur la campagne, par-dessus les toits ou vers les nuages. Mais au crépuscule, elle arrête son rouet et demeure ainsi, assise dans l'obscurité, sans allumer de lumière, et quand la lune ou un rayon de lumière étranger tombe sur sa fenêtre, on peut être sûr de l'y voir immobile, les regards perdus dans l'espace, toujours de la même façon.

    C'est un autre spectacle vraiment mélancolique, quand elle expose ses lits au soleil. Au lieu de les transporter, avec l'aide des voisins, sur notre place où est la grande fontaine, elle les traîne sur le haut toit noir de votre maison, elle les étend sur le versant ensoleillé, va et vient vivement sur la pente du toit, sans souliers, il est vrai, mais en s'avançant jusqu'au bord ; elle bat coussins et traversins, les retourne, les secoue et se démène si seule, là-haut sous le grand ciel, que cela paraît tout à fait téméraire et singulier, surtout quand elle s'arrête, et la main sur les yeux, debout en plein soleil, regarde au loin.

    Sa mère se présente à lui plus tard dans un rêve compliqué de retour au pays, où la maison de son enfance lui apparaît bizarrement en partie retournée comme un gant.

    (...) En levant les yeux vers la maison, je remarquai pour la première fois son aspect étrange. Semblable à un ancien et noble ouvrage d'ébénisterie et de lambrissage, elle était bâtie toute entière en bois de noyer sombre, avec d'innombrables corniches, caissons, panneaux et galeries, le tout du travail le plus fin et poli comme un miroir. C'était, à proprement parler, l'intérieur d'une maison tourné vers le dehors. Sur les corniches et les galeries s'alignaient des pots et des gobelets antiques en argent, des vases de porcelaine et de figurines de marbre. Les vitres de cristal étincelaient d'un mystérieux éclat sur un fond sombre, entre des portes de chambre ou d'armoires en bois veiné où s'enfonçaient des clés d'acier brillant. Par dessus cette singulière façade, la voûte bleu sombre du ciel ; un soleil à demi-voilé de nuit se jouant sur la splendeur profonde du bois de noyer, sur les pots en argent et les vitres.

    Je vis en outre que des escaliers richement sculptés conduisaient aux galeries supérieures et j'y montai, cherchant un accès. (...) Je m'avançai contre une des fenêtres et portai la main à ma tempe, pour chasser le reflet de la vitre de cristal. Alors mon regard plongea, non dans une chambre, mais dans un charmant jardin plein de soleil et je crus y voir ma mère, rayonnante de jeunesse et de beauté, se promener parmi les  fleurs, revêtue d'habits de soie. Je voulus ouvrir la fenêtre et l'appeler, mais je ne découvris ni crémone ni bouton, car c'est à l'extérieur de la maison que j'étais, bien que j'eusse vue sur un jardin, comme de l'intérieur. Je me trouvai finalement debout contre une paroi richement lambrissée, sur une corniche qui offrait à peine à mes pieds un espace suffisant (...).

    (Keller - Henri le Vert, trad. La Flize)