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  • Pays cisalpins

    Pour quelques jours, en Toscane, près de Florence.

    [Léonard de Vinci (?) - Annonciation, détail]

  • Promenade (Glenn Affric)

    Il semble que de faibles différences d'altitude ou d'orientation suffisent ici pour tout changer à la végétation : la forêt disparaît, les buissons succèdent aux arbres, puis aux buissons la lande et les pierriers. La promenade alors (si courte soit-elle) est comme le départ de lointaines caravanes, quittant la campagne et les bois, remontant la vallée sans routes, s'acheminant vers le haut pays désert. Le sentier passe à mi-pente au-dessus des rives d'un lac, double un arbre mort. Vers l'amont, les eaux étroites se terminent dans les prairies. Au-delà : les brandes, la passe ouverte entre les sommets nus.

  • Pendule

    Il y a dans la collection Burrell à Glasgow une étrange Madone de Bellini (dont quelqu'un peut-être aura l'explication) : l'enfant est debout sur un appui devant sa mère ; il tient à bras tendu une ficelle avec un rameau fleuri attaché au bout. La mère soutient l'enfant d'une main. Elle a posé l'autre main aux pieds de l'enfant, paume ouverte sous les fleurs suspendues. Tous deux baissent les yeux vers le plomb de cet énigmatique pendule.

  • Murder, my sweet

    Au cinéma, revu Murder, my sweet de Dmytryk.

    You know, I think you're nuts. You go barging around without a very clear idea of what you're doing. Everybody bats you down, smacks you over the head, fills you full of stuff... and you keep right on hitting between tackle and end. I don't think you even know which side you're on.

    Dupé, rossé, assommé, drogué, Marlowe à chaque fois se relève et rentre dans la mêlée, se jetant dans la gueule du loup, faisant le malin face à malin et demi, heurtant à l'aveuglette. Des faisceaux de lumière courent dans l'obscurité ; ils illuminent un court moment une figure tirée des ténèbres ; une hypothétique vérité brille un temps puis, retournant à la confusion, s'anéantit.

  • Arthur's seat

    Dans le chapitre 17 des Indes noires, « Un lever de soleil », la jeune Nell quitte pour la première fois les profondeurs des houillères d'Aberfoyle, où sa vie s'est déroulée jusqu'ici dans une obscurité presque totale ; ses amis ont choisi le soir pour commencer ce voyage afin que la jeune fille ne passât que par une gradation insensible des ténèbres de la nuit aux clartés du jour. Les voyageurs traversent un pays qui apparaît à Nell immense et obscur :

    - Quelles sont ces grandes fumées qui courent au-dessus de notre tête ? (...)

    - Et quels sont ces points scintillants qui brillent à travers les déchirures des nuées ? (...)

    Nell regardait la silhouette des grands arbres que le vent agitait dans l'ombre. Elle les eût volontiers pris pour quelques géants qui gesticulaient. Le bruissement de la brise dans les hautes branches, le profond silence pendant les accalmies, cette ligne d'horizon qui s'accusait plus nettement lorsque la route coupait une plaine, tout l'imprégnait de sentiments nouveaux (...)

    La lune monte dans le ciel. Les voyageurs embarquent et naviguent sur la Forth. Ils abordent près d'Edimbourg. Ils vont rejoindre avant l'aube le sommet du parc qui s'étend à l'est de la ville :

    L'Arthur-Seat n'est, à vrai dire, qu'une colline haute de sept cent cinquante pieds, dont la tête isolée domine les hauteurs environnantes. En moins d'une demi-heure, par un sentier tournant qui en rendait l'ascension facile, James Starr et ses compagnons atteignirent le crâne de ce lion auquel ressemble l'Arthur-Seat, lorsqu'on l'observe du côté de l'ouest. (...)

    « Attends donc, Nell. Le soleil ne va pas tarder à paraître, et, pour la première fois, tu pourras le contempler dans toute sa splendeur. »

    Et :

    Le jour se faisait au point d'intersection que l'arc diurne allait fixer sur la circonférence de la mer.

    (Je pense fugitivement au mythe d'Orion tel que l'a peint Poussin, au géant aveuglé en route vers l'orient pour toucher au point où le soleil levant lui rendra la vue.)

    Enfin...

    Enfin un premier rayon atteignit l’œil de la jeune fille. C'était ce rayon vert, qui, soir ou matin, se dégage de la mer, lorsque l'horizon est pur.

    (Ce rayon vert, c'est le prétexte de l'autre roman écossais de Jules Verne. Dans celui-là, on change de bord, un coucher de soleil remplace un lever. Car, comme l'expliquait la volubile patronne d'une Caledonian Guesthouse à des hôtes perdus sur la route, les guidant au téléphone à travers les plis de leur carte routière : "(vous êtes à gauche, nous sommes à droite) ; l'Ecosse a deux côtés, un côté gauche et un côté droit").

  • Loch Bracadale

    Haute, découpée, tournée vers l'ouest, une côte « où le soir la lumière entre loin comme la mer ». L'espace s'engouffre. On s'arrête au bord de la route ivres d'une forme de vertige horizontale.

     

  • Ouverture mal arrangée, retour difficile

    La soirée ne fait pas événement. L'inauguration a déjà eu lieu ; ou bien la solennité reste à accomplir et l'endroit bénéficie d'une ouverture anticipée, provisoire et sans prestige. D'ailleurs la nouvelle salle de concert est située loin des lieux habituels, à la campagne ou dans un pays neuf. C'est un très grand amphithéâtre terne, mal éclairé, dans les tons beiges. Le public est peu nombreux et tout entier regroupé dans une section étroite de l'étage. Nous avons pris deux places dans une stalle élevée (je les regarde clignoter en rouge sur un terminal de vente). Le concert (peut-être un opéra) est un film. Mais un mur nous sépare de l'espace de projection. L'écran est difficile à apercevoir, à travers l'ouverture d'un balcon. Les spectateurs changent de rang, s'avancent, se penchent dans la pénombre pour abaisser d'une main le siège du fauteuil où ils vont s'asseoir.

    Plus tard, dans un aéroport. C'est une ruine sans planchers ni toits mais aux murs intacts comme le château de Linlithgow. Le parcours suit une passerelle tendue d'une paroi à l'autre. Au-delà il faut ramper sous une grille dans l'épaisseur du mur puis descendre jusqu'au sol de terre battue. Deux échelles sont placées côte à côte. L'une est en bois, avec un seul montant central traversé par les barreaux ; elle est ancienne et fragile mais bien calée dans le coin de la pièce : l'autre en ferraille, solide, est mal arrimée. Le secret de la réussite est de les utiliser toutes les deux, un pied dans chaque, d'allier la stabilité de l'une à la résistance de l'autre. Hélas ! celui qui me précède choisit la seconde seule qui glisse, se renverse : il tombe en arrière et son dos va donner au sol contre un gros caillou.