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  • El tempo si caccia innanzi ogni cosa

    Pour Alice.

    Quant le roi Pyrrhus entreprenait de passer en Italie, Cynéas, son sage conseiller, lui voulant faire sentir la vanité de son ambition : Eh bien ! sire, lui demanda-t-il, à quelle fin dressez-vous cette grande entreprise ?  — Pour me faire maître de l'Italie, répondit-il soudain.  Et puis, suivit Cynéas, cela fait ? — Je passerai, dit l'autre, en Gaule et en Espagne. — Et après ? — Je m'en irai subjuguer l'Afrique ; et enfin, quand j'aurai mis le monde en ma sujétion, je me reposerai et vivrai content et à mon aise. — Pour Dieu, Sire, rechargea lors Cinéas, dites-moi à quoi il tient que vous ne soyez dès à présent, si vous voulez, en cet état ? pourquoi ne vous logez-vous, dès cette heure, où vous dites aspirer et vous épargnez tant de travail et de hasard que vous jetez entre deux ?

    (Montaigne, les Essais - I, 42)

    Il en est (...) dans les affaires d'Etat (comme en médecine), car prévoyant de loin les maux qui naissent, ce qui n'est donné qu'au sage, on y remédie vite. Mais quand, pour ne pas les avoir vus, on les laisse croître assez pour qu'un chacun les voie, il n'est plus de remède.
    Ainsi les Romains, prévoyant les inconvénients, y ont toujours remédié. Et jamais ne les laissèrent se poursuivre pour fuir une guerre, sachant qu'une guerre ne se peut éviter, mais seulement se diffère à l'avantage d'autrui. Aussi voulurent-ils faire la guerre à Philippe et Antiochus en Grèce pour ne point avoir à la leur faire en Italie, encore qu'ils eussent pu, alors, éviter et l'une et l'autre, ce qu'ils ne voulurent. Et jamais ne leur plut ce que les sages de notre temps ont en la bouche du matin au soir, jouir des avantages du temps ; ils voulurent bien plutôt jouir des avantages de leur virtù et de leur sagesse ; car le temps chasse tout devant soi et peut apporter avec soi le bien comme le mal, et le mal comme le bien.

    (Machiavel, le Prince, 3) 

     

  • Comme c'était la mode

    Ce même automne, les fils de Thorbrandr dirent à Egill, leur esclave, que s'il voulait sa liberté, il fallait qu'il aille au jeu de balle, tuer quelqu'un des gens de Breidavik, Björn, Thordr ou Arnbjörn, d'une manière ou d'une autre.

    (On conseille à Egill d'attendre le soir et la fumée des feux pour se glisser dans la halle et, sans se faire voir, frapper sa victime. L'esclave obéit, se rend sur les lieux où sont rassemblés les adversaires, se cache toute la journée puis approche quand l'obscurité se fait.)

    Les feux se mirent à brûler fort et la halle s'emplit de fumée. Egill s'y rendit. Il s'était fort ankylosé dans la passe. Il avait des lacets de chaussures à glands, comme c'était la mode. L'un de ses lacets s'était dénoué et le gland traînait.
    L'esclave entra dans le vestibule. Quand il pénétra dans la salle commune, il voulut avancer sans bruit parce qu'il vit que Björn et Thordr étaient assis près du feu. Egill entendait s'affranchir pour toute sa vie dans un petit moment.  Mais quand il voulut passer le seuil, il marcha sur le gland du lacet qui traînait ; et quand il voulut lever l'autre pied, le gland fut pris, le fit trébucher et il tomba vers l'intérieur sur le plancher. Il y eut un vacarme aussi grand que si un quartier de boeuf écorché avait été jeté sur le plancher.

    (La comparaison donne une indication du sort qui attend Egill, en guise d'affranchissement).

    (Saga de Snorri le Godi, trad. R Boyer)

  • Quinze cadeaux

    Repris de , mais, comme Noël approche, je change un peu la contrainte, en donnant quinze auteurs dont j’ai offert les livres :

    Coetzee : Boyhood, Youth
    Conrad : A Personal record, The Mirror of the sea
    De Lillo : Libra
    Hasek : Chveik
    James : Aspern
    Kubin : L'Autre Côté
    Laxness : Gens indépendants
    Levi : La Trêve
    Machado de Assis : Dom Casmurro
    Michaux : Ecuador
    Nabokov : La Méprise
    Ossendowski : Hommes, Bêtes et Dieux
    Perutz : Le Cavalier suédois, Le Maître du Jugement Dernier
    Roth : American Pastoral
    Wayley (d'après Wu Cheng'en) : Le Singe Pèlerin

    Enchaîne qui  veut.

  • Apollon

    Exposition Trésor des Médicis, au musée Maillol. Dans un vitrine, qui se veut une évocation du cabinet de curiosité des souverains : la fabuleuse rencontre d’un Apollon de Jean de Boulogne et d’un manteau cérémoniel des Tupinambas du Brésil. (Devant un rideau de plumes rouges, une délicate figure rassemble ses membres déliés. L’exotisme de la parure s’accorde à l’étrangeté maniériste du bronze ; mieux, elle lui insuffle un mystère nouveau et, en suggérant l’appareil d’un culte, re-divinise l’image désacralisée du dieu.)

  • Alphabet planétaire

    (Sur Terre, quelles nouvelles espérer des explorateurs lunaires dont on croit qu'ils sont parvenus à leur but ?)
     

    — Pardon, mon lieutenant, dit le midshipman, mais le président Barbicane ne peut-il écrire?"
    Un éclat de rire accueillit cette réponse.
    "Non pas des lettres, reprit vivement le jeune homme. L’administration des postes n’a rien à voir ici.
    — Serait-ce donc l’administration des lignes télégraphiques? demanda ironiquement un des officiers.
    — Pas davantage, répondit le midshipman qui ne se démontait pas. Mais il est très facile d’établir une communication graphique avec la Terre.
    — Et comment?
    — Au moyen du télescope de Long’s peak. Vous savez qu’il ramène la Lune à deux lieues seulement des montagnes Rocheuses, et qu’il permet de voir, à sa surface, les objets ayant neuf pieds de diamètre. Eh bien, que nos industrieux amis construisent un alphabet gigantesque! qu’ils écrivent des mots longs de cent toises et des phrases longues d’une lieue, et ils pourront ainsi nous envoyer de leurs nouvelles!»

    (Verne — Autour de la Lune).

    (Ici encore, sans aucun doute, une allusion à Pym, à ses écritures telluriques, visibles seulement de l'espace... peut-être aussi à un épisode, que je ne me rappelle pas, de Robinson Crusoe
    Mais je ne résiste pas au plaisir de citer à nouveau, dans cet ordre d'idée, un passage de In the Heart of the Country de Coetzee. Magda, la vieille fille parricide, qui se retrouve isolée dans la ferme familiale voit des engins volants passer au-dessus d'elle:)

    251. The stones. When first the machines began to fly overhead and speak to me I was eager to speak back. I would stand on the head of a rock behind the house dressed for preference in white, in my patched old white nightdress, and signal with my arms and call out for responses, first in English, then later, when I began to see I was not understood, in Spanish. 'ES MI,' I shouted, 'VENE' in a Spanish which I had to invent from first principles, by introspecting, as I went along.

    .................

    255. The stones. Having failed to make my shouts heard (but am I sure they did not hear me? Perhaps they heard me but found me uninsteresting, or perhaps it is not their wont to acknowledge communications), I turned to writing. For a week, toiling from dawn to sunset, I trundled wheelbarrows full of stones across the veld until I had a pile of two hundred, smooth, round, the size of small pumpkins, in the space behind the house. These I painted, one by one, with whitewash left from the old days (like a good castaway I find a use for every odd and end, one day I must make a list of things I have not used and then, as an exercise, find uses for them). Forming the stones into letters twelve feet high I began to spell out messages to my saviours: CINRLA ES MI; and the next day: VENE AL TERRA; and: QUIERO UN AUTR; and again: SON ISOLADO.

     

  • Blanc

    "Blanc partout, Barbicane, blanc partout !"

    Le roman de Jules Verne, exception faite d'un épilogue, se termine à peu près sur ces mots ; et ce sont là les dernières paroles rapportées du toujours bavard Ardan et, pour ainsi dire, le dénouement du voyage lunaire. Il s'agit, assurément, d'un hommage que  l'écrivain rend à Poe et à son Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket, rappelant la conclusion fameuse de celui-ci :

    But there arose in our pathway a shrouded human figure, very far larger in its proportions than any dweller among men. And the hue of the skin of the figure was of the perfect whiteness of the snow.

    (C'est alors une hypothèse, peut-être, à rajouter à la longue liste des élucidations proposées de la formidable figure poeesque :

    Barbican, Michel Ardan et Nicholl jouaient aux dominos.)

  • Autour de la Lune

    Au lieu de percuter comme prévu la surface lunaire, le projectile est entraîné dans une courbe qui fait le tour de l’astre. Il dépasse l’hémisphère visible et commence à survoler la face cachée. Par les hublots, les trois voyageurs cherchent à contempler pour la première fois cette portion toujours dissimulée aux observateurs terrestres. Mais, parce qu’ils ont choisi la Pleine Lune pour leur tentative, la face cachée est plongée dans le noir. Ils désespèrent de rien voir quand soudain :

      Ce point de repère fut un éclat lumineux que Nicholl signala tout à coup sur la limite de l’horizon formé par le disque noir. Ce point ne pouvait être confondu avec une étoile. C’était une incandescence rougeâtre qui grossissait peu à peu, preuve incontestable que le projectile se déplaçait vers lui et ne tombait pas normalement à la surface de l’astre.
      "Un volcan ! c’est un volcan en activité ! (…)"

    Mais le volcan disparaît et un nouveau phénomène vient traverser la course aveugle des trois voyageurs. L’explosion d’un « bolide » à peu de distance de leur vaisseau.

      C’était comme l’épanouissement d’un cratère, comme l’éparpillement d’un immense incendie. Des milliers de fragments lumineux allumaient et rayaient l’espace de leurs feux. Toutes les grosseurs, toutes les couleurs, toutes s’y mêlaient. C’étaient des irradiations jaunes, jaunâtres, rouges, vertes, grises, une couronne d’artifices multicolores. Du globe énorme et redoutable, il ne restait plus rien que ces morceaux emportés dans toutes les directions, devenus astéroïdes à leur tour, ceux-ci flamboyants comme une épée, ceux-là entourés d’un nuage blanchâtre, d’autres laissant après eux des traînées éclatantes de poussière cosmique.
    (…)
      "L’invisible Lune, visible enfin !"
      Et tous trois, à travers un effluve lumineux de quelques secondes, entrevirent ce disque mystérieux que l’œil de l’homme apercevait pour la première fois.
      Que distinguèrent-ils à cette distance qu’ils ne pouvaient évaluer ? Quelques bandes allongées sur le disque, de véritables nuages formés dans un milieu atmosphérique très restreint, duquel émergeaient non seulement toutes les montagnes, mais aussi les reliefs de médiocre importance, ces cirques, ces cratères béants capricieusement disposés, tels qu’ils existent à la surface visible. Puis des espaces immenses, non plus des plaines arides, mais des mers véritables, des océans largement distribués, qui réfléchissaient sur leur miroir liquide toute cette magie éblouissante des feux de l’espace. Enfin, à la surface des continents, de vastes masses sombres, telles qu’apparaîtraient des forêts immenses sous la rapide illumination d’un éclair…

    (N’est-ce pas à peu près le même dispositif que reprend Gracq dans le Rivage des Syrtes ? La navigation nocturne d’Aldo est fixée sur le volcan qui domine la capitale ennemie. Arrivé au pied de la montagne, le navire vient frôler les abords de son port. Les voiles de nuages s’écartent "comme au théâtre" et le rivage inconnu du Farghestan apparaît aux agents d’Orsenna alors qu’éclatent les tirs des batteries de l’adversaire).