Deux mois après, cette belle nouvelle se trouvait dans les journaux de Paris, avec ce petit changement que c'était le comte Mosca, neveu de la Sanseverina, qui allait être fait archevêque.
En notant à nouveau cette boutade de Stendhal, je songe qu'elle pourait servir pour une étude des étranges transformations qui ont mené (par je ne sais quelles mésaventures) de la Chartreuse de Parme à la Tosca de Puccini. Je ne sais si tous les intermédiaires qui ont concouru à l'existence du livret étaient familiers du roman ; mais quelle bizarre expérience, pour un lecteur, de trouver dans la bouche de la Sanseverina une phrase, presque anodine, que Tosca a rendue fameuse, dans les circonstances les plus dramatiques : "Je n'ai pas de craintes, Altesse Sérénissime, répondit la duchesse d'un air ingénu ; quand je me promène dans les bois ; je me rassure par cette pensée; je n'ai fait de mal à personne, qui pourrait me haïr ?" (non feci mai male ad anima viva).
(Ou bien ailleurs, ce programme pour obtenir la libération de Fabrice : "le nouvel amant désigné par la prudence sera ce juge vendu, cet infâme bourreau, ce Rassi... (...) Quoi ! ce monstre, encore tout couvert du sang du comte P. et de D. ! il me ferait évanouir d'horreur en s'approchant de moi, ou plutôt je saisirais un couteau et le plongerais dans son infâme coeur.")
D'une oeuvre à l'autre, le château Saint-Ange, travesti en l'imaginaire tour Farnèse de Parme, est redevenu le château Saint-Ange. L'Italie fantasmagorique de la cour d'Ernest Ranuce IV est repassée en Italie, à Rome, et parle à nouveau l'italien.
(Autre amusant aller-retour de l'opéra au roman : Il n'est pas de chapitre dans la Chartreuse de Parme qui fasse davantage penser à un morceau d'opéra que celui qui ouvre le le livre second. Il commence par le choeur éploré, puis vindicatif, des gens de la Sanseverina après qu'elle leur a annoncé son départ de Parme comme le prince a fait condamner son neveu. Puis la duchesse force la porte du prince (déconfiture de l'un, triomphe de l'autre) ; puis le ministre Mosca les rejoint (frappé d'étonnement) : comme dans un finale d'opéra bouffe, les entrées s'additionnent et forment un ensemble (que ponctuent les apparitions comiques du chambellan), chaque personnage monologue in petto, selon son caractère. Ici Rossini semble inspirer Stendhal. Cependant à la fin de cette scène : la duchesse arrache au prince un écrit qu'elle croit salvateur mais qui s'avèrera fatal ; en cela, c'est l'acte 2 de Tosca.)
Commentaires
Bonsoir !
Amusant, j'ai toujours ressenti ça aussi pour la scène du départ. Ca me paraît assez délibéré à moi aussi : chose inhabituelle dans un roman, tout se fige comme sur scène ; plus qu'un final purement bouffe, ça m'évoque la fin du I de Don Giovanni ou le Sextuor de Lucia, quelque chose de l'ordre du saisissement, où chaque personnage conserve son idiosyncrasie (effectivement comme dans les opéras-bouffes de Rossini).
Je n'avais pas opéréautant de rapprochements avec Tosca, à part quelques lambeaux de phrase, bien vu ! Est-ce que Sardou a été profondément marqué par sa lecture, est-ce devenu un poncif de la fin du XIXe, il serait intéressant d'aller regarder de plus près.
Il y encore ce "Civitavecchia !" (dans le sauf-conduit dicté à Scarpia) : s'il existe chez Sardou, c'est sans doute une allusion à Beyle (et aux déceptions qu'il a connues dans cette ville)... chez Puccini, ça devient a posteriori(tour de vis supplémentaire) le nom emblématique des évasions fausses et des espoirs cruellement détrompés.