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  • Terraqué

    Au musée d’Orsay. Exposition de planches photographiques de Peter Henry Emerson, extraites de Life and Landscape on the Norfolk Broads [Vie et paysages dans les marais du Norfolk] (1886), ouvrage consacré à la région de l’East Anglia et à ses habitants.

    (Les rives sont incertaines, eaux et terres au même niveau.  Les hommes marchent et naviguent. Le photographe amphibie regarde le rivage depuis l’eau et son paysage a double horizon, limites du ciel et du marais (que les arbres effeuillés et les herbes hautes traversent). La terre est repoussée dans une étroite bande où la barque entre comme un coin. Les habitants des marais y moissonnent les roseaux avec de longues perches armées de faucilles. Ils fauchent les joncs, chassent les oiseaux, cueillent les nénuphars. Le soir le cuisinier fait fumer le chaudron devant sa maison sur le rivage pour que la vapeur courre sur l’eau comme une brume.)

  • Un masque double

    L'avers du masque forme l'empreinte d'un visage. Sa face est creuse comme son revers : le masque est double et deux personnes affrontées pourraient le porter en même temps. Creux et pleins s'arrangent comme si ces deux-là s'embrassaient.

  • Lumière au nord

    Une chose semble pourtant avoir échappé à l'attention des commentateurs : dans ce tableau d'un maître si renommé pour son naturalisme (La Vierge dans une église de Jan van Eyck, au musée de Berlin) (...), la lumière du soleil entre par le côté nord.

    Il n'existe pas dans toute la chrétienté de cathédrale gothique dotée d'une choeur à chapelles rayonnantes qui soit orientée vers l'ouest et non vers l'est. Et, s'il est hasardeux d'accuser le plus observateur des peintreset aussi l'un des plus éruditsd'une erreur d'échelle il serait presque sacrilège de l'accuser d'une faute contre la loi de la nature et contre l'usage ecclésiastique le plus familier. S'il a décidé d'inverser les lois de la nature, c'est qu'il avait une raison. Et cette raison est simplement que la lumière qu'il dépeint n'est pas destinée à figurer la lumière naturelle, mais la lumière surnaturelle, ou supra-essentielle, qui illumine la Cité de Dieu : la Lumière divine, sous les apparences de la lumière du jour. Chez Jan van Eyck, cette lumière, bien qu'indépendante des lois de l'astronomie, ne l'est pas des lois du symbolisme. Et la plus impérieuse des lois du symbolisme. Et la plus impérieuse de ces lois symboliquesinéluctable au point que, en cas de conflit, elle prend le pas sur toute autre signification symbolique, y compris celle du nord et du sudest le caractère positif de la droite, et le caractère négatif de la gauche.

    (Panofsky, Les Primitifs flamands)

  • Un fleuve côtier

    De Gênes à Nice. Je ne fais pas le voyage en voiture (elle est restée garée là-haut sur la corniche, avec son chargement) – ni en train (même si, je ne sais par quelle substitution, c’est ainsi que nous arriverons ; le convoi pénètre au matin sous la verrière de la gare terminus et s’immobilise le long des quais) – mais en ballon dirigeable. La côte tombe à pic dans la mer. L’aérostat contourne le massif marin, survole les vagues puis rejoint le rivage, toujours descendant. Un fleuve coule derrière les collines du bord de mer; son lit fait notre route. Un vent souffle là, suivant le courant, et nous pousse. Nous allons en silence au-dessus des eaux brunes, le ballon nous emporte comme le songe nocturne. Il fait nuit.