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Un souvenir de Philippe Jaccottet

Imaginez une chambre en désordre et mal éclairée, encombrée d'objets inutiles comme les jouets d'un enfant, et tout le jour, et la nuit aussi bien, au-delà de la fenêtre et des minces cloisons, l'on entend les gens vivre dans la poussière de la pauvreté, avec plus de cris que de rires. Ainsi, à Paris, j'ai très longtemps entendu une femme aboyer, dès l'aube, quand je sortais péniblement du sommeil ; j'avais même cru d'abord, parce que je ne voyais jamais qu'elle et que je l'entendais sans cesse dire à quelqu'un d'invisible "Mange, allons ! mange..." (avec d'ailleurs moins de grâce), que l'homme à qui elle s'adressait était peut-être un chien attaché dans le coin de l'unique chambre où ils vivaient; je vis tout de même, après, que c'était bien un homme, tout à fait abruti par le vin. Il faut peut-être avoir habité de tels lieux pour comprendre qu'il y a des femmes qui aboient.
('
Du côté de la Russie, Le Veilleur des Misérables', Ecrits pour le papier journal).

"Oh ! Avez-vous entendu cet aboiement ?"
Cette fois, c'était une vraie question, ménageant un silence qui fut aussitôt rompu par une voix agressive et infiniment lasse à la fois, jetant un seul mot à travers les épaisseurs de verre et de brume froide, hivernale :
Mange ! (...)
"J'ai cru longtemps que cette femme parlait à un chien, ou à un autre animal que j'imaginais attaché par une chaîne très courte dans l'angle qui correspond, chez elle, à celui où je me trouve en ce moment. (...)"
(L'Obscurité)

Commentaires

  • aboyer sur quelqu'un ... pour le faire manger, il y a quelque chose d'antinomique, non ? (ces poètes .... je ne les comprendrai jamais !)

  • oui paradoxalement ce n'est pas celui qui aboit qui passe pour un chien

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