Les Athéniens partent à la conquête d'une île des Cyclades restée indépendante, Mélos. Après leur avoir résisté quelques temps, la ville assiégée tombe : (...) à la suite d'une trahison, les Méliens se rendirent à discrétion aux Athéniens. Ceux-ci massacrèrent tous les hommes en âge de servir qui tombèrent entre leurs mains. Les femmes et les enfants furent vendus comme esclaves.
L'événement n'est qu'un épisode sans conséquence de la guerre mais il prend un relief extraordinaire dans le récit en raison du dialogue sans précédent où l'historien oppose, avant le début de l'affrontement, les représentants des Athéniens et ceux des Méliens (passage célèbre, sans doute ; a-t-il jamais été porté au théâtre ou mis en musique ?).
Les Athéniens refusent dans ce débat tout appel au sentiment, au droit et à la morale : les arguments ne doivent être évalués que selon l'intérêt réel et assuré des adversaires. Nous nous abstiendrons, pour notre part, de faire de belles phrases. (...) Vous savez aussi bien que nous que, dans le monde des hommes, les arguments de droit n'ont de poids que dans la mesure où les adversaires en présence disposent de moyens de contrainte équivalents et que, si tel n'est pas le cas, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance, tandis que les plus faibles n'ont qu'à s'incliner.
Ce réalisme cynique n'est pas inédit ; c'est le ton de l'impérialisme athénien tel qu'il se fait entendre dans d'autres discours rapportés précédemment par l'historien. Mais il prend une forme presque emblématique dans ce dialogue où il redouble la force du fort et anéantit les protestations du faible ; la brutalité n'est plus seulement dans la supériorité des armes mais encore dans l'argumentation (toutes les bonnes raisons présentées par les Méliens pour qu'on les épargne seront d'abord réfutées puis démenties par les faits : innocents, ils ont tort et seront tués).