Les cartons de Raphaël (il s'agit, comme on sait, de modèles pour des tapisseries commandées par le pape et destinées à la Chapelle Sixtine) ont été transférés au dix-neuvième siècle du château de Hampton Court au Victoria & Albert Museum. Les panneaux sont présentés dans une très grande salle ; des soucis de conservation imposent une lumière assez basse ; des vitres protègent le papier en y apposant des reflets. En l'état, il est bien plus difficile d'en apprécier les détails qu'on ne peut le faire, par exemple, sur des reproductions. Dans la Remise des clés, la subtilité du paysage est invérifiable, dérobée. C'est peut-être la pénombre qui accroît le poids des figures et rend plus sourdes et plus intenses les couleurs, sous le verre : je pense à la Pêche miraculeuse, à l'emphase des gestes, au bleu profond du lac comme le plomb qui semble charger le filet des pêcheurs. Telle qu'elle apparaît, leur manière s'éloigne de la clarté et de la grâce d'autres oeuvres de Raphaël (comme les Stanze du Vatican), favorisant la puissance, voulant, nous dit-on, rivaliser avec la couleur et les corps des peintures de Michel-Ange (qu'elles devaient côtoyer). (Mais c'est plutôt les fresques de Masaccio que rappelle la Prédication de Saint Paul, ses groupes de figures massives, l'autorité donnée au personnage prééminent qui, par son attitude, ouvre et ordonne l'espace, commande le mouvement et définit la perspective.)