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  • The road, de McCarthy

    Un père et son fils, "seuls au monde", rescapés d'une catastrophe, échappent à la faim, au froid et à des prédateurs féroces. Il y a les éléments d'une robinsonnade moderne : on survit sur une terre inhospitalière par l'astuce et par la prudence et grâce à quelques objets de récupération, le bois flotté, les rares biens et provisions soustraits au désastre ; on échappe de peu aux cannibales ;  sur le point de mourir de faim, on est sauvé encore par une cargaison miraculeuse ou bien c'est une épave sur le rivage qu'on explore...

    Mais, ici, ce n'est pas un navire, c'est le monde qui a fait naufrage. L'île déserte est notre terre calcinée, après l'apocalypse, couverte de cendres. Le soleil disparaît sous les nuées perpétuelles. La nuit est absolument noire. Les villes ont presque toutes brûlé. Le réseau des routes est demeuré intact mais hanté par des maraudeurs qui se nourrissent de chair humaine (contrairement à toute la faune et à toute la flore, l'humanité est très longue à mourir). Il s'agit d'un temps qui "donne raison à tous les prophètes".

    Mais il manque au roman ce qui fait la force du Robinson Crusoe: quoi qu'il en ait, Robinson habite son île et s'en arrange ; ici les deux personnages paraissent trop souvent les hôtes passagers d'une vision ou d'un cauchemar (le petit garçon toujours terrifié et le père enclin à mourir pour terminer le mauvais rêve).

  • Mahler

    Salle Pleyel, troisième symphonie de Mahler.

    Au moment des saluts, le chef fait entrer un instrumentiste qui jusque-là était resté dissimulé. Comme la montagne accouche d'une souris (et, certes, les derniers moments, martelés par les timbales, étaient dignes de ce travail-là), le musicien apporte au sein de l'énorme orchestre un jouet intermédiaire entre la trompette et le cor et qui tient sur l'avant-bras. Ce nouveau-né chétif a donné de la voix avant d'apparaître ; il intervient depuis les coulisses dans le troisième mouvement. Le cuivre caché (et dont je ne sais pas le nom) ajoute alors aux timbres apparents une sonorité proche et distincte. Lumière d'avant l'aube, elle flotte comme un halo avec tous les éclats et les reflets déjà visibles. Elle ajoute à leurs couleurs, à leur foisonnement joyeux, le sentiment d'une unité dont tous émanent.

  • Haydn, Beethoven

    Salle Pleyel.

    Symphonie n°104 94 de Haydn dite « la Surprise ». La surprise en question, nous dit-on, est une ponctuation un peu appuyée au début de l’andante ; elle vient déranger l’espèce de comptine qui en constitue le thème. Ce qui surprend, à vrai dire, est que cet innocent « tutti relevé de timbales » ait pu à l’époque faire sursauter l’auditoire. Nous sommes tellement habitués aux contrastes de la musique symphonique ultérieure que je ne sais si, au deux-tiers d’un adagio, un coup de canon tiré, à blanc, depuis l'orchestre ferait broncher la salle.

  • Théâtre à machines (Marly)

    À la fin, le roi, lassé du beau et de la foule, se persuada qu'il voulait quelquefois du petit et de la solitude. Il chercha autour de Versailles de quoi satisfaire ce nouveau goût. Il visita plusieurs endroits, il parcourut les coteaux qui découvrent Saint-Germain et cette vaste plaine qui est au bas, où la Seine serpente et arrose tant de gros lieux et de richesses en quittant Paris. On le pressa de s'arrêter à Lucienne, où Cavoye eut depuis une maison dont la vue est enchantée, mais il répondit que cette heureuse situation le ruinerait, et que, comme il voulait un rien, il voulait aussi une situation qui ne lui permit pas de songer à y rien faire.

    Il trouva derrière Lucienne un vallon étroit, profond, à bords escarpés, inaccessible par ses marécages, sans aucune vue, enfermé de collines de toutes parts, extrêmement à l'étroit, avec un méchant village sur le penchant d'une de ces collines qui s'appelait Marly. Cette clôture sans vue, ni moyen d'en avoir, fit tout son mérite. L'étroit du vallon où on ne se pouvait étendre y en ajouta beaucoup. Il crut choisir un ministre, un favori, un général d'armée. Ce fut un grand travail que dessécher ce cloaque de tous les environs qui y jetaient toutes leurs voiries, et d'y apporter des terres. L'ermitage fut fait. Ce n'était que pour y coucher trois nuits, du mercredi au samedi, deux ou trois fois l'année, avec une douzaine au plus de courtisans en charges les plus indispensables.

    Peu à peu l'ermitage fut augmenté; d'accroissement en accroissement les collines taillées pour faire place et y bâtir, et celle du bout largement emportée pour donner au moins une échappée de vue fort imparfaite. Enfin, en bâtiments, en jardins, en eaux, en aqueducs, en ce qui est si connu et si curieux sous le nom de machine de Marly, en parc, en forêt ornée et renfermée, en statues, en meubles précieux, Marly est devenu ce qu'on le voit encore; tout dépouillé qu'il est depuis la mort du roi. En forêts toutes venues, et touffues qu'on y a apportées en grands arbres de Compiègne, et de bien plus loin sans cesse, dont plus des trois quarts mouraient, et qu'on remplaçait aussitôt; en vastes espaces de bois épais et d'allées obscures, subitement changées en immenses pièces d'eau où on se promenait en gondoles, puis remises en forêts à n'y pas voir le jour dès le moment qu'on les plantait, je parle de ce que j'ai vu en six semaines; en bassins changés cent fois; en cascades de même à figures successives et toutes différentes; en séjours de carpes, ornés de dorures et de peintures les plus exquises, à peine achevées, rechangées et rétablies autrement par les mêmes maîtres, et cela une infinité de fois; cette prodigieuse machine, dont on vient de parler, avec ses immenses aqueducs, ses conduites et ses réservoirs monstrueux, uniquement consacrée à Marly sans plus porter d'eau à Versailles; c'est peu de dire que Versailles tel qu'on l'a vu n'a pas coûté Marly.

    (Saint-Simon)