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  • Sphactérie

    En route pour Corcyre, contrainte par la tempête, la flotte athénienne fait halte dans le port de Pylos, dans une portion déserte du territoire spartiate. Retenus par les hasards du mauvais temps, presque malgré l'avis de leurs chefs, les soldats fortifient avec des moyens de fortune l'espèce de bastion naturel.
    Ils n'avaient pas d'outils de fer pour tailler les pierres et ils allaient les ramasser une à une pour les poser là où elles trouvaient le mieux leur place. Ils n'avaient pas non plus d'auges et, quand il fallait du mortier quelque part, ils le transportaient sur leur dos, penchés en avant de façon à soutenir au mieux leur fardeau. Avec leurs mains croisées par derrière, ils l'empêchaient de glisser à terre.
    Les Lacédémoniens alertés accourent, par terre et par mer, et tentent en vain de déloger les envahisseurs retranchés derrière leurs ouvrages. Une île jouxte Pylos et ferme sa rade : Sphactérie était "tout entière boisée et dépourvue de chemins frayés, car personne n'y habitait". Pour prévenir un débarquement supplémentaire, les Lacédémoniens décident d'y installer des hoplites.

    Mais, peu après, une flotte de renfort arrive d'Athènes et détruit les navires lacédémoniens. La troupe débarquée se trouve prise au piège de l'île dont les navires ennemis interdisent l'abord.

    Voilà que la guerre subit une formidable réduction : le sort des armes ne se jouent plus sur un théâtre qui embrasse toutes les terres grecques de la Sicile à la Thrace mais sur un ilet désert au large d'une côte infréquentée. Les batailles et les massacres précédents pèsent peu contre le sort des cent vingt Spartiates séquestrés. Aussitôt Sparte sollicite une trêve. Dans le temps qu'elle dure puis, ensuite, jusqu'à ce qu'Athènes lance l'assaut sur Sphactérie, la grande affaire des Spartiates est d'assurer le ravitaillement de leurs compatriotes.

    Selon les conditions d'armistice : Chaque homme recevrait comme ration deux chénices attiques d'orge, deux cotyles de vin et de viande. Le ravitaillement leur serait envoyé sous le contrôle des Athéniens et aucun bateau ne devrait aborder dans l'île sans qu'ils en fussent informés. Puis, après la rupture de la trêve, une contrebande s'instaure entre le continent et l'île : Partant de différents points de la côte péloponnésienne, (les passeurs) abordaient la nuit dans l'île, du côté du large. (...) Il y eut aussi des plongeurs qui traversèrent la rade en nageant sous l'eau. Ils traînaient après eux des outres contenant des graines de pavot trempant dans du miel ou des graines de lin pilées.

    (Pitance d'oiselets pour les soldats d'élite pris dans la nasse.)

  • Nielsen, Sibelius, Tubin

    Salle Pleyel.

    Quelques numéros de la suite d’orchestre Aladdin de Nielsen : quelques pièces de danse parodiques, qui font penser, cuivres et percussion, le modernisme en moins, à la course-poursuite du Mandarin Merveilleux de Bartok. (Un gag non tiré de la partition : la percussionniste, à chaque coup de cymbales – ils sont nombreux –, envoie ses cheveux blonds voltiger en arrière).

    Le concerto de Sibelius : le soliste, ‘semblable au cri le plus perçant’, se livre à de périlleuses acrobaties sur le dernier palier du plongeoir sans que jamais ses pieds quittent la planche (l’orchestre, au fond de la fosse, suit tout cela avec un certain accablement).

    La cinquième symphonie de Tubin : une musique qu’on a l’impression de comprendre en même temps qu’on la découvre : compacte et bien découplée, vif-lent-vif. Le tout est couronné par deux groupes de timbales comme deux bastions imprenables (la symphonie finit sur une tension de paix armée, de qui-vive. Point de cantiques : tenir le pas gagné.)

  • Condensation

    A la descente, on traverse les nuages. Dans la grisaille, sous leur ventre, la couleur se condense, apparaît bleue, piquée de blanc : c’est la mer.

  • Beethoven

    Salle Pleyel.

    Dans le mouvement lent du concerto, plutôt que deux discours qui s'affrontent, celui du piano et celui de l'orchestre, ce sont deux matières, deux très belles sonorités, qui contrastent, l'une limpide et seule, reflet d'une flamme dans l'eau qui court, l'autre colossale, sévère et multipliée : si bien que je croyais voir la scène de la Flûte enchantée où Tamino s'avance face aux portes des temples, des voix invisibles le repoussent. O ew'ge Nacht wann wirst du schwinden ?

    (Avant l'attaque du dernier mouvement, l'impression de beauté et la tension sont telles que les dernières notes sont couvertes par un éternuement ou une crise de toux dans la salle.)

  • Les deux trières

    Le stratège athénien Pachès s'est emparé de la ville de Mytilène, sur l'île de Lesbos, qui s'était révoltée contre Athènes. Il occupe la cité et envoie à Athènes les principaux citoyens qui lui paraissent avoir contribué à la révolte. Les prisonniers mytiléniens arrivent à destination :
    Dans un mouvement de colère, (les Athéniens) décidèrent de faire périr non seulement les hommes qui se trouvaient là, mais encore tous les Mytiléniens adultes et de réduire en esclavage les femmes et les enfants. (...) Ils envoyèrent donc une trière auprès de Pachès pour l'informer des décisions prises et lui donner l'ordre de faire exécuter sans délai les Mytiléniens.
    Le lendemain, un brusque revirement d'opinion se produisit parmi la population (...)
    En deux discours, les orateurs Cléon et Diodotos s'opposent devant les Athéniens rassemblés, l'un prônant la fermeté et le maintien de la première décision, l'autre la clémence. C'est finalement le nouvel avis qui l'emporte :
    Une seconde trière fut aussitôt envoyée. On fit diligence, car il fallait rattraper l'autre, si on ne voulait pas trouver la cité anéantie. La première trière avait environ un jour et une nuit d'avance. Les représentants mytiléniens approvisionnèrent les hommes d'équipage en vin et en galettes d'orge et leur promirent d'importantes récompenses au cas où ils arriveraient à temps. Ceux-ci effectuèrent la traversée en toute hâte, se restaurant sans quitter les rames avec des galettes trempées dans du vin ou de l'huile et se relayant pour permettre aux uns de dormir, pendant que les autres ramaient. Par chance, aucun vent contraire ne les gêna. Tandis qu'ils forçaient ainsi l'allure, la première trière, chargée d'une mission plutôt effroyable, ne marchait qu'avec lenteur.

    (Ici l'épisode forme comme les arrachements d'une voûte, premier élément d'une figure dont le second terme est absent, commence une arche invisible dont la retombée est parmi nous).

  • Autre nuit de Platée

    Au cours de cet hiver, les Platéens, qui étaient toujours assiégés par les Péloponnésiens et les Béotiens, se trouvèrent menacés de famine. (...) Ils formèrent, en accord avec les Athéniens assiégés avec eux dans la place, le projet de sortir tous ensemble pour tenter de forcer le passage et de franchir l'enceinte tenue par l'ennemi. (...)
    (Pour franchir la contrevallation, les fugitifs fabriquent des échelles ; ils en déterminent la taille en comptant, à distance, le nombre de briques dans la hauteur du mur ennemi, sur une portion restée sans enduit.)

    Les Platéens achevèrent leurs préparatifs et attendirent une nuit de mauvais temps, avec de la pluie et du vent, et sans lune. Le moment venu, ils sortirent de la place (...). Ils franchirent d'abord le fossé qui entouraient la ville, puis atteignirent le mur ennemi sans avoir été remarqué par les sentinelles, qui ne pouvaient les voir à cause de l'obscurité, ni les entendre à cause des bourrasques qui couvraient le bruit de leur approche. D'autre part, ils marchaient à bonne distance les uns des autres, pour éviter que leurs armes, en se heurtant, ne trahissent leur présence. Ils n'avaient qu'un armement léger et n'étaient chaussés qu'au pied gauche, pour ne pas glisser dans la boue. (...)
    Des feux furent allumés en direction de Thèbes pour signaler une attaque. Mais les Platéens restés dans la ville allumèrent eux aussi un grand nombre de feux sur leurs remparts. Ils les avaient préparés exprès, afin de rendre les signaux des assiégeants inintelligibles (...)

    (Les Platéens parviennent à franchir l'obstacle, puis le fossé qui l'entoure :)
    Cela n'alla pas sans peine ni sans lutte. Une couche de glace s'était formée à la surface, mais elle n'était pas assez solide pour qu'on pût marcher dessus. C'était, comme il arrive souvent lorsque le vent souffle de l'est plutôt que du nord, une glace en liquéfaction. D'autre part, la neige tombée au cours de la nuit, avec ce vent qui soufflait, avait considérablement élevé de niveau de l'eau dans le fossé et ce fut tout juste si les Platéens purent le franchir sans perdre pied. (...)
    Partant du fossé et formés en groupe compact, les fugitifs prirent la route de Thèbes, en laissant sur leur droite le sanctuaire du héros Androcratès. Ils pensaient que la route menant en pays ennemi était bien la dernière sur laquelle on pût les soupçonner de s'être engagés.
    (Trad. D Roussel)

    (A nouveau l'exactitude du détail semble croître à mesure de la nuit, de la tempête et du désordre des combats ; et la clarté du récit, comme le plan ingénieux des Platéens, profiter de la confusion).