Rien n'égale le charme de la parole de Mallarmé. Est-ce ce tour de phrases, ce choix des mots, l'un élégant, l'autre d'une justesse savante, l'accent indicatif et précis, la voix mélodieuse et sans rature ? L'autre soir, il parlait de l'idéalisme :
"Oui, disait-il, il y a un au-delà. Les siècles passés l'ont placé, par une sorte d'habile tricherie, en dehors de l'homme. Puis l'autre erreur a eu lieu de borner l'homme à sa vie. La vérité est que, pour l'homme, l'au-delà est en lui-même. L'au-delà est la connaissance du monde. Il y a, à la surface de la terre, une aristocratie qui a cette connaissance : ce sont les héros. L'homme est le héros. L'acquisition de cette connaissance, je l'appelle la littérature -- le vrai nom serait : la musique. C'est percevoir des rapports, recréer une représentation ordonnée des choses, s'élever jusqu'à l'idée. Dès qu'il y a littérature, il y a idéalisme."
Mais qu'est-ce que je transcris auprès de ce qu'il disait ! Et il ajoutait : "Le costume moderne est une étonnante caricature de l'homme. Ainsi, chaque homme porte sur sa tête son au-delà égalitaire, le même pour tous : c'est un chapeau haut-de-forme." Et il disait, en souriant : "L'homme, avec ses membres, a un air déraciné et noueux et mal en équilibre. Retournez-le et le voici à l'aise et d'aplomb dans le pot de son chapeau."
(Henri de Régnier, Les Cahiers)