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  • Milan, ville chinoise

    Milan est le type de la fourmilière. Telle est donc sa ressemblance aux villes de la Chine ; et ce n'est pas sans raison, j'imagine, qu'elle est l'entrepôt des cocons et le marché de la soie

    (Suarès, Voyages du Condottière)

     

    (Non, Milan n'est pas la plus chinoise des villes d'Europe parce qu'elle serait bruyante et populeuse ; ou parce qu'elle s'étend par anneaux concentriques dans la plaine, chaque addition ceinturée par un circuit de boulevards ; ou parce que, comme Pékin encore, elle n'a pas de fleuve mais des canaux ; ou que le château ducal forme au Nord un vaste quadrilatère vaguement semblable à la Cité interdite (mais percé de toute part) ; ou que la tour du Filarète s'y élève avec les décrochements d'une pagode ; ou que les armes des Visconti et des Sforza portent un dragon (qui engloutit un enfant) ; non, si Milan est indubitablement la plus chinoise des villes d'Europe (oublions les vers à soie), elle l'est à cause de son nom : Milan, Mediolanum, la ville du milieu, comme l'Empire ainsi désigné, et pareillement déterminée par sa position).

  • La montagne et la ville

    La Glockstein, tel est le nom de la montagne (je suis bien aise de m'en être souvenu) : elle a la forme d'une cloche, donc ; énorme et blanche par la neige qui la recouvre presque entièrement, éclatante de givre. La ville n'est pas située immédiatement à son pied mais séparée d'elle par un bras du lac. Il est d'usage de filer la comparaison entre la cathédrale de pierre blanche qui domine la cité et la masse de roches et de glace qui monte à l'arrière-plan. Le buisson des pinacles comme la crête là-haut hérissée d'aiguilles gelées. Mais nous sommes allés plus loin, plus bas sur le rivage : ici un autre édifice clair et rose semble le surgeon de l'église maîtresse. Mais l'influence du gothique manuélin arrondit les pointes des grandes arches ouvertes sur le bleu de l'eau et du ciel. Sous elles, le chemin mène à l'embarcadère où le bateau nous attend.

  • L'Amérique

    The Childhood of Jesus, de Coetzee.

    (Un homme et un enfant, deux émigrants descendus du bateau, commencent une nouvelle vie dans le pays indéfini qui les accueille : ils ont perdu tout souvenir de leur existence antérieure ; on leur a donné un nom, et un âge accordé à leur apparence. Une administration, bénigne, universelle et peu zélée, les aide dans leur installation : trouver un logement, un travail, apprendre la langue du pays, qui est l'espagnol. L'homme répète qu'il n'est pas le père du garçon, il en a pris la charge pendant la traversée, quand le lien s'est rompu, mais il compte bien le rendre à sa mère qu'il trouvera dans ce nouveau monde : il ne l'a jamais vue, il est sûr pourtant de la reconnaître dans l'occasion. Quel est ce pays ? Pour l'homme, c'est un pays d'exil, une Australie ou une Argentine qui le reçoit avec une bienveillance mesurée mais le laisse insatisfait ; tout y advient sans désordre mais, loin de la patrie absente et oubliée, rien n'y atteint à la plénitude : ni la nourriture, ni l'amour, ni la philosophie, ni l'histoire... Seule l'affection qu'il porte à l'enfant échappe à l'affadissement ; elle persiste et croît, même après qu'il l'a confié à la mère que, dans un acte de démiurge, il a élue au hasard d'une rencontre dans les environs de la ville : c'est une femme qu'il voit jouer au tennis à travers la clôture d'un domaine. Dans cet univers sans drame, la seule inquiétude et la seule menace concernent l'enfant ; qu'il disparaisse, que l'homme soit séparé de lui. L'appréhension résonne dans l'étrange variation du Roi des aulnes que le garçon chante :

    Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?
    Er ist der Vater mit seinem Kind;
    Er halt den Knaben in dem Arm,
    Er füttert ihn Zucker , er küsst ihm warm. 

     

    Quel est ce pays ? Sa réalité est rudimentaire. Il fait penser aux limbes, il s'apparente à une vision de l'au-delà. On pourrait croire qu'ici se retrouvent les personnages d'un autre roman de Coetzee, le Maître de Pétersbourg : le père a rejoint dans la mort son fils mort (qui n'est pas tout-à-fait son fils). Cependant une autre vie commence : une vie d'aventures naît peu à peu hors de l'engourdissement et le roman s'achève par une échappée dans une espèce d'Amérique, semblable à celle qui se dresse à l'arrière-plan du livre de  Kafka.)