The Childhood of Jesus, de Coetzee.
(Un homme et un enfant, deux émigrants descendus du bateau, commencent une nouvelle vie dans le pays indéfini qui les accueille : ils ont perdu tout souvenir de leur existence antérieure ; on leur a donné un nom, et un âge accordé à leur apparence. Une administration, bénigne, universelle et peu zélée, les aide dans leur installation : trouver un logement, un travail, apprendre la langue du pays, qui est l'espagnol. L'homme répète qu'il n'est pas le père du garçon, il en a pris la charge pendant la traversée, quand le lien s'est rompu, mais il compte bien le rendre à sa mère qu'il trouvera dans ce nouveau monde : il ne l'a jamais vue, il est sûr pourtant de la reconnaître dans l'occasion. Quel est ce pays ? Pour l'homme, c'est un pays d'exil, une Australie ou une Argentine qui le reçoit avec une bienveillance mesurée mais le laisse insatisfait ; tout y advient sans désordre mais, loin de la patrie absente et oubliée, rien n'y atteint à la plénitude : ni la nourriture, ni l'amour, ni la philosophie, ni l'histoire... Seule l'affection qu'il porte à l'enfant échappe à l'affadissement ; elle persiste et croît, même après qu'il l'a confié à la mère que, dans un acte de démiurge, il a élue au hasard d'une rencontre dans les environs de la ville : c'est une femme qu'il voit jouer au tennis à travers la clôture d'un domaine. Dans cet univers sans drame, la seule inquiétude et la seule menace concernent l'enfant ; qu'il disparaisse, que l'homme soit séparé de lui. L'appréhension résonne dans l'étrange variation du Roi des aulnes que le garçon chante :
Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?
Er ist der Vater mit seinem Kind;
Er halt den Knaben in dem Arm,
Er füttert ihn Zucker , er küsst ihm warm.
Quel est ce pays ? Sa réalité est rudimentaire. Il fait penser aux limbes, il s'apparente à une vision de l'au-delà. On pourrait croire qu'ici se retrouvent les personnages d'un autre roman de Coetzee, le Maître de Pétersbourg : le père a rejoint dans la mort son fils mort (qui n'est pas tout-à-fait son fils). Cependant une autre vie commence : une vie d'aventures naît peu à peu hors de l'engourdissement et le roman s'achève par une échappée dans une espèce d'Amérique, semblable à celle qui se dresse à l'arrière-plan du livre de Kafka.)