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"Je ne savais rien de moi"

Au bout de deux semaines et quelques jours, indulgent lecteur, je roulais vers lui, vers ce vaste monde, confortablement installé, côté coin-fenêtre, dans un coupé de première classe du Nord-Sud Express, orné de glaces, le bras appuyé sur l'accotoir de la banquette, la nuque contre la têtière au crochet du commode dossier, les jambes croisées, vêtu de flanelle anglaise bien repassée, mes bottines vernies gainées de guêtres claires. Ma malle de cabine bourrée d'effets avait été enregistrée, mes bagages à main - veau et crocodile - timbrés des monogrammes L. d. V. et de la couronne à neuf fleurons remplissaient le filet au-dessus de ma tête. (...)

(Félix Krull a pris le train pour Lisbonne, acceptant de prendre la place et l'identité du marquis de Venosta que ses parents envoyaient faire le tour du monde loin de sa bonne amie, la parisienne Zaza.)

Je m'avisais (...que) je devais chasser de mon âme tous les souvenirs rattachés à mon existence antérieure, désormais point valables.
Tel que j'étais là, je n'y avais plus droit, en quoi d'ailleurs je ne perdais rien. Mes souvenirs ! Devoir y renoncer ne constituait pas une perte. Seulement, il n'était guère facile de leur substituer avec quelque netteté ceux qui m'incombaient présentement. Le sentiment d'une certaine faiblesse mnémonique, même d'un trou dans la mémoire, n'était point sans me troubler dans mon coin luxueux. Je m'aperçus que je ne savais rien de moi (...)

(Thomas Mann, les Confessions du chevalier d'industrie Félix Krull, trad. L Servicen).

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