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Moeurs aristocratiques (2)

A son retour d'Angleterre, Molé fréquente la demeure des D'Houdetot à Sannois. Madame d'Houdetot y séjourne entre son mari et son amant, Saint-Lambert, réunissant autour d'elle d'autres "débris littéraires et philosophiques du XVIIIème siècle".

L'étranger, qui abordait ce modeste ermitage sur le midi, entrait dans une petite cour carrée, entourée d'un bâtiment rustique dont le toit couvert de tuiles était parsemé de pigeons romains à moitié privés, roucoulant, faisant l'amour, se chauffant au soleil, armes parlantes dont l'esprit du visiteur était d'abord frappé. Un grand beau vieillard au teint frais, la tête couverte de sa coiffe de nuit bien blanche et entourée d'un large ruban vert brodé d'or, le corps enveloppé d'une vaste robe de chambre de soie pareille à son ruban, apparaissait. Il s'appuyait sur une canne de jonc lui venant à l'épaule, et terminée par une grosse pomme guillochée en or. C'était le comte d'Houdetot, descendant les degrés, et venant au-devant de son hôte avec toute la politesse d'un vieux seigneur. Il l'introduisait dans le salon, et se retirait tout aussitôt. Il semblait s'être dit que c'était Mme d'Houdetot qu'on venait voir et, tout en gardant sa place, ne voulait se mêler de rien. (Le visiteur, laissé seul, aperçoit dans le jardin un vieux couple en promenade, avec un chien). C'était Mme d'Houdetot, Saint-Lambert et "Lord". Lorsque le tour du parterre était achevé, ils allaient comme leurs pigeons se poser au soleil, et, au lieu de roucouler, ils relisaient quelques morceaux des ouvrages de Saint-Lambert ou quelques lettres de la correspondance de Voltaire, dont ils avaient toujours un volume en train.
(...) Ce qui attirait surtout (chez Mme d'Houdetot), c'était la fraîcheur inépuisable et la grâce toujours naïve de son esprit, c'était cette franchise d'impression, cette aptitude à jouir des plus petits plaisirs, qu'elle conservait dans sa vieillesse, et qui, loin d'être ridicules, restaient toutes sympathiques. (...) Un de ses défauts était de se citer souvent elle-même. "Je n'ai pas à me reprocher, répétait-elle souvent, d'avoir jamais donné le plus petit ridicule au plus petit plaisir !" Le plaisir dans toute sa délicatesse avait été l'unique affaire de sa vie. Son culte pour Saint-Lambert ne lui avait pas permis une autre morale, qui eût été si naturellement la sienne. La société où elle avait vécue favorisait la tournure naturellement un peu sentencieuse de son esprit. Elle ne conversait moins qu'elle ne faisait le résumé, ou, comme l'a dit Chamfort "le testament de la conversation". Par là même, elle frappait un peu de stérilité l'esprit d'autrui. Une fois que vous lui aviez trouvé matière à une jolie sentence, à une brillante antithèse, à un bon mot, le but était touché, le sujet épuisé, elle n'écoutait plus et passait à autre chose. "Glissez, n'appuyez pas", avait-elle toujours à la bouche.

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