Au Châtelet.
Après le concerto de Schumann (qui me donne toujours l'impression de ne pas arriver à finir ses phrases), la Neuvième de Mahler. Elle commence lentement comme un appareillage dans la brume (avec sa corne enrouée) ; quelque chose d'énorme et d'encore nonchalant démarre et roule sous le battement des eaux (les harpes, le gong... Les contrebasses rament...). Un beau voyage. Cependant la flânerie, l'agile liberté, le soleil, sont noyés par le retour de cette hésitation initiale qui s'obscurcit par degrés, brutaux plongeons successifs plus avant dans l'ombre :
Et l'eau froide est de plus en plus noire
Et plus pure la mort, plus âcre le malheur
Jusqu'à ce qu'en effet la mort se dresse (Alban Berg dixit) toute cuirassée de fer (et bardée de cuivres). Mais l'excursion reprend.
Autre alternance dans le finale : un bourdon farouche de cent mouches de bois et de cordes chante à tue-tête l'air de la nostalgie ; s'interrompt pour que naissent de son abstention les fragiles effloraisons du temps suspendu ; reprend sa chanson « vaine déploration de l'écoulement sans retour de la vie humaine ». Bien après les voix se calment, se raréfient (se recueillent pour écouter la phrase du violoncelle) ; il n'en reste pour finir que les articulations tracées dans l'air (que ce soient la battue du chef ou les ultimes coups d'archet des altos), une présence tue, musicienne du silence.