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La Belle Hôtesse

Je relis ce matin La Belle Hôtesse de Giono (dans Les Récits de la demi-brigade). Comme j'aime beaucoup (c'est peu dire), je vais essayer d'en dire quelques mots.

Un capitaine de gendarmerie traverse, à cheval puis à pied, un paysage. Le pays est vu selon le cours du récit (une séquence après l'autre) mais aussi, par endroits, en perspective depuis une hauteur, comme dans un tableau flamand. C'est un panorama qu'on embrasse d'un seul coup d’œil et ses différents détails sont autant d'épisodes qui concourent à une histoire, à une signification (quelque chose que l'on voit en même temps dans une succession et dans une unité). Quelle est cette unité ? Le pays est un immense piège : je venais de m'apercevoir que tout les pays était truqué. Les fermes n'étaient plus des fermes, les bois n'étaient plus des bois, les routes n'étaient plus des routes, les enfants n'étaient plus des enfants, dès qu'on tombait dans ce pays, on tombait dans un appareil à tuer et à dévaliser.

Mais le capitaine est rusé ; il ne prend rien au pied de la lettre ; il interprète chaque parole ; il invente des intrigues à double-détente (quand il prend un itinéraire détourné, il ne cherche pas à semer ses adversaires mais à le leur faire croire) ; il débusque les bandits cachés sous les oripeaux d'honnêtes commerçants. Mais il a beau maîtriser tous les codes, élaborer des théories, le fin mot lui échappe et toujours l'inattendu triomphe (c'est par exemple un coup de fusil au beau milieu des bois déserts). Tout ceci bien sûr est une métaphore de l'invention romanesque : le lecteur est comme le gendarme jeté sur les chemins à la poursuite de mystérieuses chimères (la Belle Hôtesse) ; trompé par un luxe d'indices réalistes (les détails vestimentaires, la bague au chaton en forme de cœur). Et, malgré notre méfiance et notre expérience des intrigues, lecteur et gendarme, nous finissons en pleine énigme (mais un meilleur lecteur saura peut-être l'éclaircir ?). J'ai même l'impression que l'auteur fait une apparition avant la fin, sous les traits d'un aubergiste bedonnant, aux yeux bleus, le sourire aux lèvres.

Enfin ce qu'il y a de meilleur sans doute dans cette nouvelle, c'est le grand vent qu'on entend souffler tout du long, sans répit, depuis les rues du village jusque tout autour de l'auberge la nuit, invisible et obscur. Il est si violent qu'il a fallu décrocher l'enseigne. Il fait un tel vacarme dans les bois que nous sommes livrés, assourdis, sans défense, à l'imprévisible.

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