Une légende chinoise raconte qu'un ministre des Empereurs Han, s'étant égaré un jour dans les montagnes au milieu d'un épais brouillard, se trouva en présence d'une stèle ruinée sur laquelle il parvint avec peine à déchiffrer cette inscription : Limite-des-deux-mondes. Ce n'est pas le brouillard qui manque à Amsterdam, ni ce mélange au sein d'un méandre de canaux de l'illusion avec la réalité, de l'habitation et de la perspective, ni ce portrait que livre de toutes choses une nappe attentive dont nous ne quittons jamais le bord, ce doublement qu'elle réalise de tout et ce fantôme en qui elle nous transforme aussitôt quand nous nous penchons sur elle. Limite des deux mondes ! ne la retrouvons-nous pas à un niveau différent dans les musées sous le lustre furtif de la glace et du vernis quand nous confrontons notre actualité précaire à ces effigies que l'art a immobilisées pour nous à la fenêtre du passé ? Comme ils sont réels ! comme ils tiennent bien la pose ! comme ils collent à leur propre continuité.
(Claudel, Introduction à la peinture hollandaise)