A l'opéra de Nice.
(Je trouve qu’une mise en scène "réaliste", comme dans cette production, convient particulièrement bien à la représentation de Pelléas et Mélisande : la scène peut être une grande maison, percée de fenêtres qui donnent sur une campagne ou sur la mer ; les accessoires sont empruntés au quotidien le plus banal ; le jeu des acteurs chanteurs n’a rien d’exotique ou d’étrange ; leurs paroles ne sont pas des oracles ou des sentences tombées du ciel (je n’ai jamais entendu une Mélisande aussi lucide : quand elle parle, elle sait exactement ce qu’il lui arrive à défaut de maîtriser ce qui est plus fort qu’elle). Malgré son étiquette de drame symboliste ou de fable moyenâgeuse, la pièce de Maeterlinck me fait toujours l’impression d’être le relevé assez fidèle de la vie d’une famille de la bonne société gantoise au dix-neuvième siècle. A quelques excentricités près du décor et de l’intrigue, elle donne ainsi, par extension, l’image des mœurs domestiques de la bourgeoisie de tous les temps et de tous les lieux. Des phrases toute faites sont prises, mot à mot, à son discours de résignation et de respect des usages, tel que les anciens le dispensent généreusement aux enfants ou aux jeunes gens ; il est toujours préférable d’attendre, il faut être sage et patient, il ne faut pas négliger sa famille, la vie n’est pas faite que d’amusements. Arkel à Pelléas : Il faudrait attendre cependant… Pourras-tu choisir entre le père et l’ami ? Geneviève à Mélisande : Mais on s’y fait si vite. Il y a quarante ans, il y a près de quarante ans que je vis ici. Golaud à Mélisande : On ne peut pas pleurer pour ces choses… La joie, on n’en a pas tous les jours… Et puis, l’année prochaine…Golaud à Pelléas : Je sais bien ce sont là jeux d’enfants… mais vous êtes plus âgé qu’elle, il vous suffira de vous l’avoir dit, etc. Nos deux héros se collettent avec cet enfermement patriarcal ; ils s’aiment et, fatalement, ils meurent mais la musique (et tout ce qu’elle porte d’émotions, de rêve et de sensations) supplée à leur défaite.)