C'est un jardin public, encombré de terrasses, de balustrades et de chaises, sous des monuments commémoratifs. Nous nous retrouvons ici trente ans après, apportant de vieilles photos. Les enfants d'alors sont des adultes maintenant et les parents ont l'âge d'être grands-parents. Avec un appareil photo, nous nous prêtons au jeu des comparaisons, reprenant la pose dans les mêmes lieux et rejouant les images du passé ainsi que des tableaux vivants : on s'asseoit sur les socles, on réarrange les chaises, on s'échelonne dans les marches comme autrefois. Chacun a repris la place qu'il occupait mais les corps, les tailles et le costume ont changé. Les traits conservent plus ou moins de ressemblance. Nous mêlons ensuite les deux séries de photos. La lumière d'aujourd'hui est pâle et grise, celle d'alors était jaune, les ombres plus profondes et brunes. Quand on les regarde longtemps, les clichés anciens s'animent : quelqu'un a parlé, le bras retombe, le rire qu'on lisait sur les lèvres éclate, trois pas en avant mènent jusqu'au pied de l'escalier. (Comment cela est-il possible ? Est-ce parce que les gestes que la pose arrêtait sont restés emprisonnés dans l'image, à l'état latent, prêts à se dérouler à la première occasion ? ou bien qu'à un point dans le temps ne peut succéder toujours que la même série d'événements, comme l'eau coule selon la plus grande pente ?)