Récital de mélodies de Debussy à la Maison de la Radio.
(Entendre les Chansons de Bilitis, c’est retrouver la prosodie de Pelléas et Mélisande, cette façon caractéristique de dévider, sans le rompre, le fil des vers démesurés élaborés par Louÿs ou par Maeterlinck. La voix épouse le profil gigogne de ces alexandrins tératologiques et la musique porte le souffle dans leurs emboîtements jusqu'à la finale retardée :
ma mère ne croira jamais que je suis restée si longtemps à chercher ma ceinture perdue
comme
le troisième jour qui suivra cette lettre allume une lampe au sommet de la tour qui regarde la mer
La chevelure ou le prétexte de la parure égarée sont des accessoires, et des lieux communs, mis en usage par l’un et l’autre poète ; mais l’érotisme est plus actuel chez Louÿs. Les trois poèmes choisis par Debussy pourraient s’intituler : l’initiation, l’union (en rêve), l’animal triste. Dans le dernier, le Tombeau des naïades, le paysage d’églogues se retrouve plongé dans un hiver septentrional. L’image qui clôt la pièce est empruntée (il me semble) au Faune de Mallarmé (qui dans tout ceci n’est jamais bien loin).
Et avec le fer de sa houe il cassa la glace de la source où jadis riaient les naïades. Il prenait de grands morceaux froids, et, les soulevant vers le ciel pâle, il regardait au travers.
vient de :
Ainsi, quand des raisins j’ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.
Je ne sais pas s’il faut comprendre que le morceau de glace, vu en transparence, rappelle l’éclat laiteux de la carnation des nymphes perdues.)