Quant au roi Louis-Philippe, il n'en était pas plus question que s'il eût appartenu à la dynastie des Mérovingiens. Rien ne me frappa plus que le silence profond qui s'était fait autour de son nom. Je n'entendis, pour ainsi dire, pas prononcer celui-ci une seule fois, soit parmi le peuple, soit plus haut. Ceux de ses anciens courtisans que je vis n'en parlaient point, et je crois véritablement qu'ils n'y pensaient pas. La révolution leur avait donné une distraction si forte, qu'ils en avaient perdu le souvenir de ce prince (...)
(...)
Le garde de mes propriétés, demi-paysan, me rendant compte de ce qui se passait dans le pays, aussitôt après le 24 février (1848), m'écrivait : "Les gens disent que si Louis-Philippe a été renvoyé, c'est bien fait et qu'il l'avait bien mérité..." C'était là pour eux toute la morale de la pièce. (...)
(...)
Depuis longtemps, (Chateaubriand) était tombé dans une sorte de stupeur muette qui laissait croire par moments que son intelligence était éteinte. Dans cet état pourtant, il entendit la rumeur de la révolution de Février et voulut savoir ce qui se passait. On lui apprit qu'on venait de renverser la monarchie de Louis-Philippe ; il dit : "c'est bien fait !" et il se tut. Quatre mois après, le fracas des journées de Juin pénétra aussi jusqu'à son oreille et il demanda encore quel était ce bruit. On lui répondit qu'on se battait dans Paris et que c'était le canon. Il fit de vains efforts pour se lever en disant : "Je veux y aller", puis il se tut et cette fois pour toujours, car il mourut le lendemain.
(Tocqueville, Souvenirs.)