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Je pars

(A Aix-en-Savoie, Casanova fait la connaissance d'un couple de joueurs : l'homme fait des dupes ; la femme s'efforce de les retenir. Casanova a plusieurs fois reporté son départ. Mais ce jour-là :)

(...) je monte chez le marquis pour prendre congé. Je trouve sa maîtresse toute seule. Je lui dis que je devais partir à deux heures ; elle me répond que je ne partirais pas, que je lui ferais le plaisir de rester là encore deux jours. Je lui dis que j'étais très sensible à son empressement, mais qu'une affaire de la plus grande importance m'obligeait à partir. Me disant toujours que je devais rester, elle se met debout devant un  grand miroir, et elle délace son corset pour le lacer mieux après avoir arrangé sa chemise. Faisant ce manège, elle me laisse voir des globes faits pour rendre vaine toute résistance, mais je fais semblant de ne pas les voir. Je voyais un projet fait, mais j'étais décidé à l'éventer. Elle met un pied sur le bord du canapé où j'étais assis, et sous prétexte de se mettre une jarretière au-dessus du genou elle me laisse voir une jambe faite au tour, et sautant à l'autre elle me laisse entrevoir des beautés qui m'auraient dompté si le marquis ne fût pas survenu. Il me propose un quinze à petit jeu, la dame veut être de moitié avec moi, j'ai honte à le refuser ; elle s'assied près de moi ; elle lui faisait le service. Quand on vint dire qu'on m'avait servi, j'ai quitté perdant quarante louis. Madame me dit qu'elle m'en devait vingt. Au dessert Le-duc m'annonce une voiture à la porte. Je me lève, madame me dit qu'elle me devait vingt louis, elle veut me les payer, et elle m'oblige de l'accompagner à sa chambre.

D'abord que nous y sommes, elle me dit sérieusement que si je pars, je la déshonore, puisque toute la compagnie savait qu'elle s'était engagée à me faire rester. Elle me dit qu'elle ne se croyait pas faite pour être méprisée, elle me jette sur le canapé, et elle retourne à la charge, liant de nouveau devant moi ses maudites jarretières. Ne pouvant pas nier de voir ce qu'elle voit que je voyais, je loue tout, je touche, je baise, elle se laisse tomber sur moi, et elle devient fière quand elle trouve la marque infaillible de ma sensibilité ; elle me promet, collant sa bouche sur la mienne, d'être toute à moi le lendemain. Ne sachant plus comment faire pour me délivrer, je la somme de sa parole, et je lui dis que j'allais faire dételer précisément dans le moment que le marquis entrait. Je descends comme si c'était pour revenir, l'entendant me dire qu'il allait me donner ma revanche. Je ne lui réponds pas. Je sors de l'auberge, je monte dans ma voiture, et je pars.

(Casanova, Histoire de ma vie, 7.II)

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