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Le merle

Dans les Oeuvres pré-posthumes  de Musil (trad Jaccottet), "Le Merle".

Deux amis d'enfance se retrouvent de loin en loin. A l'occasion d'une de leur rencontre, l'un d'eux fait à l'autre le récit de trois expériences décisives, éparses dans sa vie, qu'il associe entre elles sans savoir dire quel lien secret les unit. L'auteur donne à ses personnages des noms de figure géométrique ("A-un" et "A-deux"). A-un est presque entièrement silencieux. Nous saurons peu de choses de lui ; il écoute et paraît, face à l'autre, par contraste, comme un être tranquille, prudent, menant une carrière ; c'est lui qui reçoit. A-deux parle avec un détachement et une précision pareils à ceux de l'auteur, si bien qu'on pourrait les confondre. Sa vie est aventureuse et faites de ruptures. Il professe ne pas avoir accordé jusque là d'importance aux traces de son propre passé : car celles-ci appartiennent à un moi périmé, étranger au présent. A-deux n'est pas sentimental : il rompt sans ménagement les attaches amoureuses ou familiales. Il ne craint pas la mort, et même, l'a défiée pendant la Guerre ou dans ses jeux d'enfant. Il se considère lui-même avec froideur et esprit d'analyse. Pourtant les trois anecdotes qu'il raconte confinent au surnaturel ; s'y révèle mystérieusement, dans le temps, ce que le fait d'être vivant a de plus essentiel, renvoyant l'expérience de l'adulte à celle de l'enfant, nouant des liens entre générations, au-delà des caractères et des circonstances. Le merle est le principe de la première et de la dernière histoire (la plus ancienne où l'appel se fait entendre pour la première fois et la troisième, celle qui se poursuit encore dans le présent de la nouvelle). L'oiseau n'apparaît pas dans le récit central, sauf peut-être dans une image. C'est pendant la Grande Guerre, sur le front italien, dans une position isolée, devant les montagnes, la nuit.

(...) je voyais se dresser dans l'obscurité le massif de la Brenta, bleu ciel, avec ses plis de verre. Et c'est justement dans ces nuits-là que les étoiles étaient grandes, on les aurait cru découpées dans du papier doré ou, à cause de leur scintillement gras, dans de la pâte cuite ; le ciel restait bleu jusqu'à l'aube et le mince, le virginal croissant de la lune, tout en argent ou tout en or, était couché au milieu d'elles et se fondaient en délices. Efforce-toi  d'imaginer la beauté de cela : la vie abritée n'offre rien d'aussi beau. Quelquefois, je n'y tenais plus de bonheur et de désir ; je sortais en rampant dans la nuit jusqu'aux arbres mi-partis de noir et de vert doré sous lesquels je me redressais, petite plume kaki dans le plumage de la Mort, l'oiseau tranquille au bec acéré, à la livrée mystérieuse, noire et multicolore, comme tu n'en as jamais vu.

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